• La Leçon du mal, Yûsuke Kishi, traduit du japonais par Diane Durocher (Belfond)

    www.nippon.comOn est prié d’ admirer la performance. Celle de l’auteur, bien sûr. Celle de la traductrice, laquelle, si on lui avait laissé plus de temps pour cet énorme travail, aurait certainement éliminé les multiples fautes de français qui émaillent son texte… La performance, enfin, sans fausse modestie, du lecteur. Car cette « œuvre culte » d’un auteur célèbre en son pays, déjà adaptée sous forme de manga et au cinéma, est un thriller de plus de 500 pages, où tout se déroule avec une lenteur fatidique, mais extrême. On pourrait penser que ce n’est pas dans mes cordes. D’ailleurs, ce ne serait pas dans mes cordes, n’étaient le Japon d’une part et, de l’autre, le monde de l’école – par conséquent, de l’adolescence.

     

    Uniforme mis à part, un lycée nippon ne semble pas très différent d’un lycée français. Pour peu qu’on ait eu l’occasion de les fréquenter, on reconnaîtra les mêmes élèves, défilant ici dans un carillon de prénoms exotiques, innombrables mais remarquablement individualisés et dessinés ; l’administration, comme il arrive, défaillante ; et, pour occuper sa place, ce personnage accablant mais répandu : le jeune enseignant dynamique. Ici, il s’appelle Hasumi. Soucieux de ses élèves, populaire et démagogue, il sait se rendre indispensable à tous. Au début, cependant, rien d’autre à lui reprocher. Le premier malaise survient quand on le voit éliminer un corbeau gênant, qui ne cessera dès lors de revenir le hanter. Ensuite, c’est un chien. Ensuite…

     

    Pères défaillants

     

    Un art consommé du point de vue et le jeu virtuose des flash-back révèlent peu à peu la longue traînée de cadavres déjà laissée derrière lui par notre héros. Et ce n’est rien à côté de tous ceux qui vont suivre… Impossible d’en dire plus, mais on peut sans déflorer l’intrigue s’interroger sur les enjeux, et sur ce qui explique qu’on tienne jusqu’au bout, même quand, comme c’est mon cas, on n’éprouve pas de fascination particulière pour l’hémoglobine. Serait-ce que, comme le prétend la quatrième de couverture, l’ouvrage fait « la critique féroce (…) d’une société enfermée dans ses codes, sa hiérarchie sociale et ses traditions passéiste » ? J’avoue qu’arrivé au bout de ce gros volume j’ai toujours du mal à voir où nicherait tout ça. Il est certain que l’auteur n’aime pas beaucoup l’école, cette « arène où seule règn[e] la loi du plus fort » : prof de maths assassin, proviseur complice, infirmière nymphomane, enseignants ivrognes, brutaux, séducteurs, voire violeurs ; et un prof de sciences nat d’anthologie, qui dissèque les scarabées en gloussant, « hi hi hi hi ! hu hu ! »… Mais les adultes en général ne sont clairement pas à la hauteur, et la police n’a rien à envier au corps enseignant. Disons donc que cette fable, parfaitement invraisemblable et assaisonnée à la sauce grand-guignol, montre des jeunes gens trop dociles confrontés à la faillite de pères absents et de mères même pas mentionnées. Le seul aîné à se soucier d’eux est un tueur psychopathe.

     

    Est-ce bien un tueur psychopathe ? Il n’est « pas sadique » et ne goûte pas spécialement l’acte même de tuer. C’est sans doute ce qui le rend redoutable. « La souffrance d’autrui ne provoqu[e] pas de plaisir particulier chez lui ; simplement, il n’en [a] absolument rien à faire ». Dès lors, tout pour lui est problème à régler. « Tu réagis aux autres comme tu réponds à un examen : en choisissant la solution qui te rapportera le plus de points », lui dit un professeur (au moins un !) qui l’a percé à jour dès son adolescence. Et lui-même, avant d’exécuter une de ses victimes, se livre à une petite séance d’introspection : « Dans beaucoup de cas, il s’avère que l’homicide représente la solution la plus simple à un problème donné. Or, la majorité des gens hésitent à s’y résoudre. On a peur d’être arrêté par la police, ce genre de choses… Moi, cela ne me freine pas. Je suis comme les athlètes de sports extrêmes ».

     

    Catharsis

     

    Si on a le sens de l’humour (noir), on sera sensible à l’effet comique de cette accumulation exponentielle de meurtres variés à l’infini dans leur mode d’exécution. Peut-être aussi partagera-t-on avec Hasumi un peu du plaisir qu’il éprouve, et dont la métaphore récurrente du puzzle donne une idée : quelle solution, se demandera-t-on à chaque fois, cet hyper-rationaliste trouvera-t-il à son « problème » ? Car qui n’a jamais rêvé de se débarrasser des casse-pieds de façon radicale ? Voilà l’occasion de satisfaire par procuration ces tendances condamnables, l’excès même interdisant ici de culpabiliser sérieusement.

     

    Tout cela justifie la monstrueuse ampleur du récit. Faut-il par ailleurs y voir un brûlot socio-historique, et faire du prof sanglant le produit d’un contexte donné ? Rien dans le livre ne va vraiment dans ce sens. Hasumi surgit de rien, et n’en est que plus terrifiant. Il est le mal du titre, flanqué d’un noir corbeau.

     

    P. A.

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