• L’Été jaune, Mahir Ünsal Eris, traduit du turc par Noémi Cingöz… et autres histoires (La Reine Blanche)

    https://magazine.laruchequiditoui.frDepuis 2016, les éditions de La Reine Blanche se consacrent à la nouvelle et aux récits courts, soigneusement et élégamment édités en petits volumes qui proposent toujours une préface ainsi que deux illustrations originales au moins. Au catalogue, des auteurs francophones ou non, récents ou plus anciens. Ainsi, cet automne, Mahir Ünsal Eris, écrivain et traducteur turc né en 1980, pour un recueil de huit nouvelles comptant chacune une vingtaine de pages.

     

    Comédie humaine

     

    Est-ce bien un recueil de nouvelles ? Un événement commun lie ces récits, et il a la couleur annoncée par le titre : une poussière jaune vient, un matin d’été, recouvrir la ville où tout se passe, tempête de sable apportée par le vent d’Égypte dans laquelle certains n’hésitent pas à voir un avertissement céleste, et qui, de fait, sera bientôt suivie d’un (léger) tremblement de terre. Tous les héros sont confrontés à ce double prodige, lequel jouera dans leur vie un rôle essentiel ou secondaire. Mais ce n’est pas tout. Comme dans une mini-Comédie humaine, ils se croisent et ressurgissent quelquefois dans un rôle de second plan après avoir joué, dans un autre récit, le rôle principal. Tandis que des thèmes récurrents achèvent de tisser des liens entre les différents textes.

     

    Celui du suicide, par exemple. Car les vies qu’on nous raconte sont des impasses : une jeune fille fuit sa belle-mère tyrannique et rencontrera la mort ; une femme cherche en vain à quitter son mari ; une grande entreprise prend à un vieillard sa maison et sa terre… Sans compter les innombrables jeunes hommes désœuvrés et sans avenir qui errent dans la ville en « ne parlant que de femmes, de jambes, de seins et de rêves ».

     

    Tout cela dans une Turquie d’avant l’islamisation mais pas plus riante pour autant. L’événement climato-tellurique, s’il n’est pas d’origine divine, prend des allures d’allégorie dans ce microcosme, où les sept péchés capitaux et quelques autres se déchaînent entre frénésie et humour noir, sur fond de destruction de la nature et d’argent roi.

     

    « Une petite Turquie dans la ville, un petit monde en Turquie, et l’esprit d’une petite personne (…) dans ce monde », résume Burhan Sönmez, autre écrivain turc, dans la préface. La construction même du recueil mime ce piège, et pas seulement parce que tous les héros viennent buter sur la même irruption du réel. Une mort ouvre le livre, un suicide la suit, qui se répétera, montré sous un autre point de vue, dans le dernier texte du recueil… Mieux qu’aucun commentaire, cette semi-boucle à elle seule dit le piège, et l’absurdité des existences qui y sont prises.

     

    Petites rivières

     

    Le même éditeur, dans une collection intitulée Les Petites Rivières, propose de minces cahiers présentant chacun un seul texte, pris dans un recueil publié par ailleurs chez l’éditeur. On peut ainsi découvrir l’œuvre de Herman Bang, écrivain danois mort en 1912, avec Parias, récit en trois parties où il peint le sort des femmes de mœurs légères dans le Danemark de son époque. L’intérêt étant ici que tout est montré sans être vraiment dit, à travers les discours des personnages, leurs gestes ou leurs comportements. Ce qui a pu autoriser Monet, ami de l’auteur, à parler à son propos d’« impressionnisme ».

     

    Autre découverte : Dans le tram, étrange récit de Benito Pérez Galdós, auteur espagnol célèbre en son pays au XIXe siècle. Un ami bavard raconte une anecdote digne d’un roman-feuilleton. Le narrateur en lit la suite sur une page de journal déchirée. Il se surprend à inventer lui-même ce qui manque. Des personnages de cette histoire montent dans le tram où tout advient, notre auteur imaginatif écoute leurs conversations, finit par s’y  mêler… Ironie, fantaisie, pastiche – et le fameux parallèle fiction-lecture-train.

     

    Variations

     

    Mais toutes les productions de la maison ne sont pas des traductions de langues étrangères… Le recueil d’Isabelle Taillandier, Les Couleurs et les sons, se place sous le patronage de Baudelaire, et les textes qui le composent sont souvent des invitations au voyage, vers l’Allemagne ou, surtout, l’Espagne. Les sens y jouent également un grand rôle, comme les arts qui les sollicitent, peinture ou musique. Et le volume lui-même peut se lire comme un répertoire des variations, pour reprendre le titre donné par Claude de Grève à sa préface, auxquelles peut donner lieu la forme nouvelle.

     

    Pas de récits à chute, mais des vies en quelques pages, telle celle de La Dame d’Elche, vieille Espagnole de milieu populaire et qui connut l’émigration, dont un récit restitue la voix inimitable. Et aussi des tombeaux, des poèmes en prose, des histoires nées d’un tableau ou d’un objet (Escaliers). Le tout culminant dans Le Cri déchirant de la réalité, tragédie de deux existences travaillées par le mythe, que reconstitue ou qu’imagine une écrivaine à partir du seul détail qu’elle connaît. Bel exercice de mise en abyme, et éloge du genre en soi.

     

    P. A.

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