• François, roman, François Taillandier (Stock)

    www.bedetheque.com/.jDisons-le tout de suite : ce n’est pas du tout un roman. Sans doute faut-il considérer le titre comme un hommage à Aragon, dont François Taillandier est, comme moi, un admirateur déclaré (1). Mais Le Roman inachevé était une autobiographie fragmentaire, poétique, versifiée, placée sous le signe du mentir-vrai cher au poète des Yeux d’Elsa. François, roman, dominé par un souci d’exhaustivité et d’éclaircissement, appartient au domaine de l’autobiographie pure et simple. D’ailleurs, pas de sous-titre en tête du livre. Si le mot roman figure dans le titre, c’est sans doute qu’il fallait quand même à tout prix le caser quelque part.

     

    Caroline et de Gaulle

     

    Des souvenirs, donc, et qui sont ceux d’une génération. Comme l’auteur et moi sommes, à un an près, du même âge, j’ai tout reconnu. L’enfance dans une grande ville de province (lui, c’était Clermont-Ferrand) ; « Caroline, la petite blonde des albums de Pierre Probst », les lettres OAS sur les murs, l’émission Salut les copains, de Gaulle (« Il était là comme était là le Puy de Dôme »), les chansons d’Hugues Aufray et celles de Jean Ferrat. Plus tard, une adolescence comme on n’en fait plus, ouverte par l’apparition des filles et conclue en apothéose par celle de Freud, de Marx et de Lénine. Certes, je n’étais pas catholique comme François l’était et, ainsi qu’il le signale crânement à plusieurs reprises, l’est redevenu. Mais j’ai moi aussi appris un jour que j’étais pourvu d’une âme, que je me figurais sans doute également « comme une sorte de berlingot translucide ». Et, surtout, vocation oblige, j’ai moi aussi vibré en lisant Cyrano, suis passé sans guère de transition de Bob Morane à Balzac, me suis dès lors vu, dans l’avenir, « en auteur de théâtre, comme Rostand ou Anouilh ; en romancier de la société (…) ; en poète ».

     

    Tout cela, qui plongerait sans doute dans une stupeur incrédule bien des jeunes lecteurs d’aujourd’hui, pourrait être émouvant. Et l’est parfois, du reste, quand il s’agit de l’enfance, « le temps du c’est-comme-ça », où on éprouve soudain, « à travers les choses qu’ils [ont] laissées (…) la proximité des morts ». D’où vient cependant que, plus on avance, plus il arrive que nous traverse l’esprit la question la plus inquiétante pour un (auto)biographe : qu’est-ce que tout ça peut bien nous faire ?...

     

    Triste époque

     

    Sans doute faut-il incriminer ce qui pourrait être le point fort de l’ouvrage, et qui constitue, on le sent bien, sa plus grande originalité aux yeux de l’auteur. François, roman se présente comme un long face-à-face entre première et troisième personne, narrateur de 63 ans et héros de 7 à 14 ans. Le premier sait qu’il « reste redevable de tout » à ce « frère jumeau » qu’il contemple et avec lequel il renoue à travers le filtre des années. Car tous deux ont, pendant longtemps, perdu le contact. La faute à, comme on aime le dire maintenant, l’époque, la prétendue révolution sexuelle, l’idéologie, qui ont éloigné le grand adolescent puis le jeune adulte de la pureté intransigeante de l’enfant et du préado. Mais, heureusement, François, un jour, est revenu, ramenant Taillandier à la vérité de son être et, on le devine, de sa foi. Fort bien.

     

    Seulement ce dispositif astucieux et naïf ouvre la porte à un intrus redoutable : le commentaire. D’autant plus à craindre quand il prend la forme permanente du jugement de valeur. Tout est ici placé sous le signe de l’évaluation, alternativement positive et négative quand il s’agit des adultes autour de l’enfant, exclusivement et opiniâtrement négative à propos de l’adulte débutant considéré au point de vue retrouvé de l’enfant d’autrefois. Ça donne, dans une longue seconde moitié, un interminable lamento à la fois hargneux et masochiste. Car tout le monde en prend pour son grade : les militants, les profs, l’église après Vatican II… et, bien entendu, l’auteur lui-même, qui bat sa coulpe, se réjouit en sous-texte d’en être sorti, plaint, sans le dire, les pauvres égarés qui seraient tentés de ne pas regretter à ce point leurs péchés de jeunesse.

     

    De Jean-Jacques à François

     

    Il y a du Rousseau, bien sûr, dans cette autoflagellation justificatrice. Mais Rousseau inventait un genre — l’autobiographie moderne. Et puis, Rousseau, comment dire… c’était Rousseau. Certes, il émaillait ses Confessions de réflexions fréquentes et diverses. Et Taillandier fait de même : « On ne devrait jamais perdre de vue que la jeunesse, c’est de l’énergie : elle cherche des terrains et des buts » ; « L’idéologie est un travestissement, au lieu que la poésie est une présence » ; « Savons-nous vraiment de quoi est composée la vie, celle qui passe en nous et entre nous ? » … Oui. On aura beau dire, Rousseau reste Rousseau.

     

    P. A.

     

    (1) Voir son essai, paru en 1997 chez Stock, Aragon, 1897-1982 « Quel est celui qu’on prend pour moi ? »

     

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