• Entretien avec Gilles Sebhan

    Nous inaugurons en ce début d’année une nouvelle rubrique, consacrée à des entretiens avec des auteurs qui nous intéressent. Gilles Sebhan est le premier. Né en 1967, il vit à Paris et enseigne en proche banlieue. Il est l’auteur de plusieurs romans (Presque gentil, Denoël 2005, La Dette, Gallimard 2006…) ainsi que de deux récits (Tony Duvert, l’enfant silencieux et Domodossola, le suicide de Jean Genet, Denoël 2010 l’un et l’autre).

    Désir, désir d’écrire, écriture du désir… : le corps et l’écriture tiennent la première place dans son œuvre. S’y construit aussi, de livre en livre, un singulier autoportrait.

     

    Entretien avec Gilles Sebhan

     

    Nous déjeunons avec Gilles Sebhan dans une brasserie proche du métro Arts et métiers, où, venus tous trois par des chemins différents, nous pénétrons au même instant par différentes portes. Ce qui doit sans doute être considéré comme un présage encourageant. Au café, nous posons à notre auteur les questions que nous comptons poser aussi à tous les autres, puis des questions plus ciblées.

     

    Comment en êtes-vous venu à écrire ?

    Mon premier souvenir dans ce domaine est un souvenir d’imitation : assis à une petite table bleu ciel et coquille d’oeuf, j’entreprends d’écrire un conte pour faire comme ma sœur plus âgée, qui travaille à son bureau. Ainsi l’écriture se trouve liée pour moi dans son origine à cette identification à une femme…

    Ensuite, bien sûr, il y a eu d’autres premières fois, comme c’est le cas en amour. Ainsi, un jour, à quatorze ans, en classe, alors qu’on étudie un poème de Rimbaud, je me dis soudain que ce qui nous occupe là est une chose que moi aussi je peux faire.

     

    Comment écrivez-vous ?

    Plutôt n’importe quand, chez moi, sur un ordinateur.

     

    Écrire, est-ce pour vous un travail ?

    Quand je dis à quelqu’un que je suis en train de travailler, je suis en général en train d’écrire. En fait il n’y a pour moi qu’un seul véritable « travail » et c’est celui-là. « Travail » aussi dans le sens d’une mise au monde, de quelque chose qui doit sortir de moi. Hélas, vous savez bien que ce n’est pas un travail très rémunérateur…

     

    Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?

    Il y en a deux au moins, ceux sur lesquels j’ai écrit : Duvert et Genet. Mais il s’agissait aussi pour moi d’un exorcisme. Je voulais rendre hommage à ces écrivains et je devais en même temps prendre une distance par rapport à eux.

    Il y a aussi des auteurs dont je parle moins mais qui ont beaucoup compté pour moi : Gombrowicz  ou Kertesz par exemple. Et puis d’autres qui sont des passions actuelles comme Roberto Bolaño.

     

    Vous avez en effet écrit sur Duvert et Genet, l’homosexualité tient une place importante dans vos ouvrages : comment vous situez-vous par rapport à la notion de « littérature gay » ?

    Il y a quelques années, j’ai fait une conférence à Normale sup’ autour de la question : « Existe-t-il une écriture gay ? », ce qui m’a amené à me pencher de plus près sur le sujet.

    Ne me définissant pas comme « gay » (c’est un mot que je déteste), j’aurais à plus forte raison du mal à me définir comme « écrivain gay ». Ce qui m’intéresse, c’est la transgression, la traversée vers le corps de l’autre, un autre généralement hétérosexuel. J’écris sur le désir du corps de l’Autre hétérosexuel. La dimension communautaire que le mot « gay » implique m’est donc totalement étrangère.

     

    Vos romans mettent en scène un narrateur à la première personne, écrivain, vivant à Paris, dont les modes de vie et les expériences semblent souvent proches des vôtres : êtes-vous un auteur d’autofiction ?

    S’il n’y avait pas débat en ce moment sur ces sujets, je ne me poserais pas la question : les questions de genre littéraire ne m’occupent pas. Malgré tout je dis oui, car je trouve qu’en ce moment s’affirme une détestation de l’écriture de soi que je trouve ridicule, et qui est de l’ordre de l’illusion, du piège, de la manipulation : on n’écrit jamais que sur soi. Il est étonnant qu’on ne se soit pas méfié davantage de ce qu’annonçait la publication par Emmanuel Carrère de D’autres vies que la mienne. En matière de manipulation, c’est pourtant un maître !

     

    L’enfance et l’adolescence jouent un rôle important dans votre œuvre : l’écriture est-elle pour vous une manière de dialoguer avec l’enfant que vous avez été ?

    Disons avec l’enfant qui refuse de me quitter… Plutôt que de le retrouver il s’agit pour moi de le neutraliser : faire en sorte que sa voix résonne dans le livre et pas dans mon esprit. Cet enfant que je suis toujours, qui me hante, qui m’encombre, j’essaie surtout de m’en débarrasser.

     

    Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

    Sur la révolution égyptienne. En octobre dernier je me suis rendu au Caire et j’ai rencontré, avec mon ami le photographe Denis Dailleux, des familles de « martyrs », chez eux. Je n’avais pas du tout l’idée d’en faire un livre mais la confrontation a été tellement forte et étonnante que j’ai éprouvé le besoin d’en faire le récit et d’évoquer  la date clé du 28 janvier, jour où la police a reçu l’ordre de tirer sur les manifestants à balles réelles. 

     

     

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  • Commentaires

    2
    Dimanche 8 Janvier 2012 à 23:18

    Et cet auteur a bien d'autres mérites! Il vaut la peine de lire ses romans, et son beau récit sur Tony Duvert.

    1
    Dimanche 8 Janvier 2012 à 21:30
    Merci de nous faire découvrir cet auteur, que personnellement je ne connaissais pas du tout. Enfin quelqu'un pour dire combien le terme de gay est ridicule! Si on pouvait arrêter avec ces dénominations "fun"(arghhhh...).
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