• Court vêtue, Marie Gauthier (Gallimard)

    photo Pierre AhnneIl faudrait d’abord parler du titre. De cette expression qui, par l’ellipse sur laquelle elle paraît se fonder, par l’antéposition et l’emploi adverbial de l’adjectif, imite l’allure bondissante de celle qu’on imagine, comme dit le fabuliste, « ainsi troussée »… Jolie trouvaille, cette locution primesautière pour un livre qui ne l’est pas, mais refuse de l’être avec autant d’insolence que son titre en suggère.

     

    Le thème en est classique et abondamment exploré. C’est l’été. On est dans un petit bourg avec une rivière. Félix, quatorze ans, a été mis en apprentissage chez le cantonnier : « On ne savait trop quoi faire de ce corps maladroit d’adolescent ». De deux ans plus âgée, la fille du patron, Gil, ne va plus à l’école. Elle fait à manger pour tout le monde, travaille à la supérette et se donne à des hommes. « Jeunes, vieux, hommes mariés, moustachus, barbus, poilus. Ça étourdissait Félix. Ça lui faisait un drôle d’effet d’imaginer tout ce qui entrait dans le corps de Gil ».

     

    « Quelqu’un viendra le chercher »

     

    Roman d’adolescence, éducation sentimentale sur fond de province française ?... Gil finira par « mettre la main sur ce prétendu apprenti » et nous verrons bien, en fin de compte, « un jeune garçon deven[ir] un homme ». Mais si Marie Gauthier se glisse sans rechigner dans le cadre qu’une tradition bien établie lui propose, c’est pour le vider de tout ce qu’on s’attendrait à le voir contenir : portrait sociologique du fameux monde rural, qu’on dit aussi périphérique, tableau psychologique d’un âge indécis, surprises de l’amour, atermoiements, péripéties, etc. S’il y a une progression, elle est d’une nonchalance qui frôle l’invisibilité. Même la fin tragique est presque escamotée, et le sexe, omniprésent, n’est jamais là que de manière oblique. Bref, rien n’est à la place prévue. Heureusement.

     

    Félix, nous dit-on, a « toujours su imiter les adultes, faire ce qu’on attendait de lui ». « Si on l’[a] déposé là, quelqu’un viendra le chercher », songe-t-il. Quant à Gil, elle « ne dit jamais non » à ceux qui sont « là pour la prendre ». Les personnages acceptent avec indifférence le rôle qu’on leur offre, pour vivre en le jouant un peu autre chose que ce qu’il annonçait. Ils font, en somme, un peu comme la narratrice elle-même, qui s’installe dans leur histoire pour nous parler de ce qui devrait n’en constituer que les marges — et qui est, pourtant, l’essentiel.

     

    « Son corps insolite… »

     

    C’est-à-dire ? L’atmosphère, bien sûr, « la fraîcheur de la cuisine », « la salle de bain où le soleil étourdissant n’entr[e] pas » ; les moments creux où « rien ne boug[e] » et où on « respir[e] l’odeur de l’été ». Mais, avant tout, la densité et la proximité des corps. « Corps (…) compact d’adolescent malhabile » pour Félix, corps gracile et perpétuellement en mouvement de Gil, « vive, légère, alerte (…), comme un courant d’air dans la maison », le vrai sujet du livre de Marie Gauthier, c’est la juxtaposition de ces deux corps contradictoires. Avec une élégance faussement détachée et une obstination sourdement hypnotique, elle mime le ballet auquel ils se livrent, et l’attraction qu’exerce Gil, avec « son corps insolite de fille », sur l’être inachevé qu’est encore Félix.

     

    Car c’est son point de vue qui est privilégié, avec les rêveries que lui inspire celle qu’il « imagin[e] sous ses vêtements tandis qu’elle met de l’eau à bouillir pour les pâtes ». L’unique nuit qu’ils finiront par passer ensemble (« Ce n’était pas une victoire, mais une immense chance ») n’en épuisera pas le mystère. Félix éprouvera le besoin de revenir « sur les lieux où il [a] connu un travail fatigant, des soirées les fenêtres ouvertes et une nuit magique ». Il va, nous dit la narratrice, avec un peu trop d’insistance (après tout, c’est un premier roman), « tenter de mettre des mots sur tout ça ». Car « il [est] peut-être venu ici pour ça, attendre une fille, avoir peur qu’elle ne revienne pas et s’ouvrir au pouvoir des mots ». L’initiation d’un écrivain ?

     

    P. A.

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