• Comment vivre en héros, Fabrice Humbert (Gallimard)

    https-_i.pinimg.comDe la belle ouvrage. Voilà la formule qui vient à l’esprit d’abord quand on lit le roman de Fabrice Humbert Comment vivre en héros. Un roman qui, comme l’annonce, en souriant, son titre, joue le jeu : gros, il le faut, embrassant toute une vie, avec les alternances de calme et de péripéties qui s’imposent, et le juste dosage de ruse et de naïveté. Un roman, par-dessus tout, qui reste un roman, c’est-à-dire une œuvre littéraire et non un pamphlet sociologique ou une nouvelle physiologie du mariage.

     

    Et pourtant. La vie dont nous suivrons le cours est bien celle d’un homme d’aujourd’hui, ce Tristan Rivière, fils d’un ouvrier communiste et résistant, qui, après avoir enseigné dans un collège difficile, deviendra maire d’une commune de banlieue, et dont la fille, renonçant in extremis à la finance, sera patronne de boîte de nuit. En arrière-plan, ce sont bien cinquante ans de l’histoire de France qui défilent. Dans L’Origine de la violence (Gallimard, 2009), adapté au cinéma avec un certain succès en 2016, il était déjà question, si je ne me trompe, d’Histoire. Mais, déjà, ce n’était pas tout.

     

    Scène originelle

     

    Tristan a dès le départ « un poids sur les épaules », et ce poids est double : un père « héros de guerre », un nom qui oblige — « Les choses étaient claires : Tristan, fils de héros et descendant étymologique d’un héros, n’avait pas le droit d’être un lâche ». Seulement voilà : lorsque son ami boxeur et entraîneur est agressé dans le métro, l’adolescent prend la fuite (1). C’est cette scène de « trente-huit secondes » qui, plus encore que sa naissance, va déterminer toute sa vie. Comme le réel lacanien, elle revient toujours, dirait-on, à la même place, et même si, quelques années plus tard, le « héros » sauvera, dans des circonstances semblables, celle qui deviendra sa femme et la mère de ses enfants, la faute originelle exigera sans fin d’être rachetée et effacée.

     

    « La vie de Tristan Rivière, comme celle de tout homme, était enveloppée de possibles et, peut-être plus que tout homme, il était hanté par l’idée que cela aurait pu être différent, à cause de cette expérience originelle dans le métro »… Mais tout peut-il réellement être différent ? « Qu’est-ce qui échappe à l’aléatoire dans la vie ? » « Entre destin, hasard et personnalité propre, chacun se contorsionne dans son époque, elle-même héroïque ou ridicule »… Si on pense souvent à Kundera en lisant Fabrice Humbert, c’est que, comme l’écrivain tchèque, il entrelace à l’aventure individuelle et à l’Histoire la réflexion morale et philosophique. Que celle-ci ne soit pas d’une originalité particulière importe peu : le fait qu’elle soit là, non seulement comme un fil conducteur mais en tant que principe structurant qui détermine la narration, sauve celle-ci de la psychologie comme de la sociologie pour maintenir le livre en ce point d’équilibre qui fait, encore une fois, les vrais et beaux romans. Équilibre qui ne serait rien s’il ne reposait sur celui d’une écriture qui se déploie à la distance exacte entre empathie généreuse et lucidité ironique.

     

    Possibles narratifs

     

    Alors, bien sûr, comme des œuvres de Kundera lui-même, on peut penser que c’est un peu lourd. Fabrice Humbert, c’est un fait, ne lésine pas sur le commentaire. Et on a légèrement l’impression quelquefois qu’il veut montrer tout ce qu’il sait faire. La Résistance ? J’y étais ! La boxe ? Je m’y connais parfaitement. Et prof en grande banlieue ? Je le fus. L’apprentissage du para ? J’en sais jusqu’aux moindres méandres… Oui, mais tout cela avec tant d’enthousiasme et, disons-le, de facilité : car le pire est qu’il sait le faire, nous restituant avec une exactitude qui empoigne toutes les expériences qu’il évoque. S’en plaindra-t-on — et des multiples petits récits qui se lovent dans ce gros livre et auraient pu devenir chacun un bref roman à part entière ?...

     

    Et puis, il y a, bien entendu, autre chose encore. On s’en sera douté, répétons-le, dès le titre… Cette méditation sur les possibles et les impasses d’une vie, n’est-ce pas d’abord une réflexion sur les choix narratifs, et ce Comment vivre en héros (de roman) n’est-il pas une somptueuse et retorse mise en scène de l’écriture romanesque elle-même ? « Et là, le visage de Tristan, le visage engoncé dans sa rêverie d’un autre monde (…) (n’y avait-il pas une dimension où les événements se recréaient, revécus, réécrits, enfin conformes à la morale et à l’image qu’on a de soi ?), yeux perdus dans le vide, se crispait soudain, au moment où son poing s’écrasait sur le violeur »… On s’y croirait, décidément.

     

    P. A.

     

    (1) En cette rentrée, le noble art est vraiment à l’honneur (voir ici)…

     

    Illustration :Tristan et le Morholt, enluminure médiévale

     

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