• Beyrouth entre parenthèses, Sabyl Ghoussoub (L’Antilope)

    www.i24news.tvÀ moi qui ne cesse de faire l’éloge des petits formats, ce livre était fait pour plaire, tant il prouve, une fois de plus, qu’on peut dire en peu de mots bien des choses sur tous les sujets, y compris les plus complexes. Le sujet, ici, c’est Israël. Sa place au Moyen-Orient. Rien de moins. Sabyl Ghoussoub, évidemment, ne prétend pas faire, en 140 pages, le tour de la question. Mais il la déplie, avec une adresse et une insolence revigorantes.

     

    « Est-ce bien moi ce moi ?... »

     

    Notre homme est franco-libanais et travaille dans le domaine de l’image. Son narrateur aussi. Photographe et maronite, il enfreint l’interdiction faite aux citoyens libanais de se rendre en Israël. Pourquoi ? « À force d’entendre parler d’Israël depuis que je suis petit, haïr ce pays à tout va, le voir condamner de tous les maux de la planète, je n’ai eu qu’une seule envie, m’y rendre ». La syntaxe est un peu bizarre, mais enfin ça s’appelle annoncer la couleur. À l’aéroport Ben Gourion, tout commence par un très long interrogatoire (« Comment vous appelez-vous ? Votre nom de famille ? Où êtes-vous né ? Comment s’appelle votre père ? Où est-il né ?... »). Puis, enfin libéré, l’homme venu d’ailleurs visite le pays de l’Autre.

     

    Les deux parties sont de longueurs inégales et de tonalités différentes, mais ne sauraient aller l’une sans l’autre. La première est empreinte d’une forme d’humour que n’auraient pas reniée les faux voyageurs du temps des Lumières : face à l’étranger, notre vrai voyageur se trouve renvoyé, comme eux, à sa propre altérité. « Elle me teste, cherche à savoir (…) si je suis bien moi et pas un autre fourré dans mon identité (…). Madame, je me pose cette question tous les jours. Suis-je moi ? Suis-je bien moi ? (…) Est-ce bien moi ce moi, qui moi et qui je ? » Et l’interrogatoire policier de tourner à l’autobiographie en miettes doublée d’une réflexion sur la notion d’identité.

     

    « Nostalgie du présent »

     

    On n’aimerait pas être à la place des pauvres gradés, hommes ou femmes, qui interrogent le visiteur. Pour mettre le bazar dans les idées et les représentations les mieux établies, il est fort… Voyez par exemple sa vision de l’Iran, inattendue au point de laisser l’officier de service perplexe : « Si je comprends bien, vous allez en Iran pour boire et coucher avec des femmes ? » Sans parler de ses projets ou réalisations artistiques : « une sorte d’album de famille où j’aurais mêlé les images de ma famille et celle d’[une] famille israélienne » ; « l’histoire d’une rencontre entre une Franco-Israélienne et un Franco-Libanais qui, à travers leurs images du quotidien en Israël et au Liban, se trouvent un territoire imaginaire commun qu’ils ont décidé d’appeler Kess Emek » (traduction : « la chatte de ta mère »).

     

    Bref, comme il le dit lui-même, notre héros aime à « désordonner l’ordre ». Et c’est ce premier moment de son récit, destructeur et joyeusement chamboule-tout, qui permet à la seconde partie d’installer, mine de rien, une autre atmosphère. Dans ce pays auquel il peut enfin accéder, mosaïque de religions, de langues, de cultures et d’idéologies, le personnage va en effet trouver paradoxalement une forme d’identité, et celle-ci naît d’un sentiment étrange : la « nostalgie du présent ». Cette nostalgie, peut-être, qui fait finalement dire au narrateur : « Est-ce mon enfance ou ce pays [le Liban] que je cherche à revoir, à reconquérir en venant en Israël ? »

     

    De l’humour noir à l’émotion, beau détour, pour un petit livre. Et salutaire leçon d’incertitude.

     

    P. A.

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