• Victoria Ocampo / Michèle Cohen : des vies d’écriture

    Voici deux ouvrages parus presque en même temps mais qui n’ont, a priori, rien en commun… Si ce n’est que tous deux parlent du rapport qu’entretiennent leurs auteures avec les textes – et disent bien d’autres choses à partir de là.

     

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    La Rédactrice, Michèle Cohen (Les Éditions du Panseur)

     

    Les jeunes Éditions du Panseur publient le premier roman d’une débutante pleine d’expérience : née en 1950, Michèle Cohen a travaillé à France Culture, puis dans de grandes agences de publicité, comme rédactrice. De cette expérience de l’écriture pratiquée sur le mode du fragment et dans des contextes qu’on ne peut pas vraiment qualifier de littéraires, elle tire un livre en six parties divisées chacune en multiples chapitres de deux ou trois pages, où elle revit et revisite autant dire toutes les situations d’écriture possibles. On trouve des lettres, administratives ou non, des conversations, des nouvelles, de quasi-poèmes composés exclusivement d’onomatopées ou d’adjectifs… En même temps, c’est une vie qui se déploie par bribes : les dissertations du lycée, les boulots d’étudiante, comme dactylo, dans le service de presse de Raymond Barre, l’expérience de la radio (drôle et émouvante rencontre avec Levinas), le monde de la pub – avec des conseils aux rédacteurs qui pourraient aussi bien valoir pour les auteurs : « Aller à l’essentiel » ; « Pas de choses vagues » ; « Plus on dit des choses personnelles, plus on a de chances de toucher à l’universel »…

     

    Et il y a aussi le départ de la Tunisie, les débuts difficiles à Paris, l’enfance, la famille, le judaïsme, des histoires d’amour… Tout un autoportrait, moderne et ironique, qui est également un éloge de la littérature vue depuis ses marges.

     

    Le Vert Paradis et autres écrits, Victoria Ocampo (Vendémiaire)

     

    Dans leur collection Compagnons de voyage, les éditions Vendémiaire publient la plupart des textes écrits en français par Victoria Ocampo. Rappelons que cette écrivaine argentine née en 1890, disparue en 1979, avait grandi dans une famille aristocratique où une bonne partie de l’éducation se faisait dans notre langue. Qu’elle fonda la prestigieuse revue Sur, et devint une de ces intellectuelles internationales comme il y en eut entre les deux guerres : éditrice, traductrice, auteure de nombreux articles et essais, féministe, antifasciste et antipéroniste, amie de Tagore, de Borges, de Malraux, de bien d’autres gloires…

     

    Sylvia Baron Supervielle, autre Argentine célèbre et francophone (1), préface ce volume où se trouvent d’abord regroupés plusieurs textes dans lesquels l’autobiographie est envisagée sous l’unique angle de la lecture et des lectures. D’enfance, avant tout. À une époque où « la découverte de la littérature [avait] lieu à l’âge des confitures volées » et constituait « une aventure mémorable, un événement capital »… « J’ai commencé à lire en français », dit notre auteure, évoquant Peau d’âne et Jules Verne, mais aussi Racine et Proust. D’autres pages n’en sont pas moins consacrées à l’« histoire de [son] amitié avec les livres anglais » – Twain, Dickens, Shakespeare…

     

    Ce retour aux origines de la lecture est l’occasion de fines analyses littéraires esquissées au passage, et d’aperçus quasi proustiens sur une enfance vécue entre alexandrins et palmiers, dans l’ombre admirée et redoutée de Mademoiselle (« Vous ne savez pas ? Eh bien, il fallait savoir »).

     

    À l’évocation de ce vert paradis succède une courte biographie de Lawrence d’Arabie, née de la passion pour un livre, là encore. C’est en effet la lecture fascinée des Sept Piliers de la sagesse qui conduisit Victoria Ocampo à s’intéresser à son auteur, et à voir en lui l’exemple d’une exigence égale sur les plans de l’action et de l’art : « Le style dans la matière écrite et dans la matière vécue, le style dans le choix des actes comme dans le choix des mots »… C’était, à n’en pas douter, son propre idéal.

     

    P. A.

     

    (1) … qui publie elle-même ce printemps, aux éditions du Seuil, La Langue de là-bas, récit-essai sur ses relations avec ses deux langues, l’espagnol et le français…

     

    Illustration : Vieira da Silva, L'Issue lumineuse, 1966

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