• Entretien avec Emmanuelle Richard

    Emmanuelle Richard est jeune. Elle a publié aux Éditions de l’Olivier en février 2014 un premier roman intitulé La Légèreté. J’ai dit ici même à quel point j’avais été séduit par l’écriture nerveuse et précise de cette auteure débutante, par son absence de concession au tout-venant du romanesque, par l’originalité avec laquelle elle aborde le thème pourtant maintes fois traité de l’adolescence.

     

     Cela fait un moment que je voulais m’entretenir sur ce blog avec un écrivain qui soit au seuil d’une probable « carrière ». Autant s’adresser pour cela à quelqu’un dont l’entrée en littérature révèle un vrai talent et promet de belles suites…

     

     

     

    Entretien avec Emmanuelle Richard

     

     

     

      Comment en êtes-vous venue à écrire ?

     

     C’est quelque chose que j’ai longtemps fui… À l’école, j’étais bonne en français et tout le monde avait l’air de penser que si je voulais devenir écrivain je pourrais l’être, ça paraissait de l’ordre de l’évidence. Mais moi je trouvais ça solitaire, triste, ça ne me faisait pas envie du tout. Jusqu’au jour où une professeure de français nous a donné en dictée le début de Moderato cantabile [de Marguerite Duras]. Ça a été un événement déclencheur. Je me suis précipitée à la bibliothèque. Là, je suis tombée sur Passion simple, d’Annie Ernaux, et j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver d’elle. Nouvelle révélation. En fait, c’est elle le premier auteur qui m’a donné envie d’écrire.

     

    J’ai commencé à le faire vers l’âge de seize ans. J’étais poussée par le besoin de sauver des choses que je ne voulais pas voir disparaître. À dix-huit ans, j’ai démarché les éditeurs, à pied, avec un premier manuscrit sous le bras. Il a été refusé partout. À vingt ans, pareil. Pendant tout ce temps je n’ai jamais douté d’être un écrivain, mais parfois je doutais de cette certitude.

     

    Puis un jour j’ai pensé à me trouver un parrain. Je suis allée voir Olivier Adam. Il est le premier à m’avoir dit que la question de savoir s’il fallait continuer ne se posait même pas.

     

     

     Comment écrivez-vous ? 

     

     Il y a de grandes périodes pendant lesquelles je n’écris pas. Je n’écris que pour faire un livre. Je m’y suis remise depuis quelques mois alors que j’avais passé presque un an sans écrire.

     

    Je crois qu’on écrit parce qu’il y a des images qu’on veut sauver de l’oubli. Alors on essaie de trouver un moyen de les relier entre elles. Mais au départ il y a ces choses qu’on ne veut pas perdre, et la construction, le livre proprement dit, viennent après.

     

    Je crois aussi qu’on écrit toujours la même chose.

     

     

     Écrire, est-ce pour vous un travail ?

     

     Ce n’est pas un travail compte tenu de l’épanouissement personnel que ça apporte. Il n’en reste pas moins que c’est beaucoup de travail. J’attache énormément d’importance au rythme, aux sonorités, et il peut m’arriver de rester une semaine sur une page…

     

     

     Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?

     

     Annie Ernaux, bien sûr, j’en ai déjà parlé. C’est de l’ordre d’une filiation. J’aime aussi beaucoup ce que font Emmanuelle Pagano ou Véronique Ovaldé. Je trouve chez celle-ci le questionnement sur la violence des rapports sociaux, la famille, qui m’importe à moi aussi. L’attention aux petites choses chez quelqu’un comme Susan Minot m’intéresse également. De manière générale, j’aime les auteurs qui ont une sensibilité au social. Et aussi Éric Reinhardt, avec sa violence sans concession, cette énergie de la colère, qu'on peut aussi trouver dans le rap, par exemple.

     

    Je pourrais encore vous parler de Joy Sorman, que j'admire pour sa façon d'avoir un territoire bien à elle et une écriture très physique. Ou de Nathalie Léger, de sa finesse, de sa précision, de tout son propos sur le féminin, la question du genre. Elle écrit très peu mais je la trouve d'une importance capitale. Tout comme Emmanuelle Bernheim, Jean Rhys, Didier Eribon et tant d'autres…

     

     

     La Légèreté n’est pas tout à fait votre premier livre : en 2010, vous avez publié, à L’École des loisirs, Selon Faustin. Comptez-vous continuer à écrire aussi « pour la jeunesse », et y a-t-il pour vous une différence entre cette écriture-là et celle qui s’adresse aux adultes ?

     

     C’est une question de hauteur de regard. On écrit ce qu’on a à écrire. Avec la hauteur de regard qui est la plus juste, celle qui convient le mieux aux personnages. Après, le résultat, le choix d’une collection, c’est une affaire de marketing. Il n’y a pas de sujet plus spécialement « pour la jeunesse ». Donc je pense que oui, certainement, il m’arrivera encore d’écrire des livres qui seront publiés dans des collections destinées aux adolescents.

     

     

     Quand on est l’auteure d’un premier roman (« pour adultes », donc), qui a remporté un certain succès, comment envisage-t-on la suite ?

     

     Il paraîtrait que le deuxième livre est le plus périlleux, le plus difficile à écrire. Mais je ne ressens pas cette difficulté. Je n’ai pas d’angoisse à ce propos.

     

    D’un point de vue économique, je ne peux pas vivre de l’écriture pour le moment mais je pense que dans un certain temps je pourrai le faire, en gardant un travail à temps partiel. J’aimerais bien avoir la liberté de ne plus travailler trente-huit heures par semaine comme je le fais à l’heure actuelle.

     

     

     Dans La Légèreté, vous faites le portrait d’une adolescente dont vous dites vous-même qu’elle est un peu celle que vous avez été. Continuerez-vous à écrire en utilisant comme matériau votre propre expérience ?

     

     Oui, bien sûr. Je pense qu’on n’invente rien, qu’on ne fait que travestir ou corrompre ou déguiser. Je crois aussi que plus on parle de soi, plus on parle du monde. Plus on descend profondément dans l’intime, plus on s’approche de l’universel. Autofiction ?... Je ne crois pas à ces catégories. Dès qu’on écrit on fictionnalise, et en même temps on parle de soi.

     

     

     Le corps et le désir, d’une part, le conditionnement social et les barrières de classe, de l’autre, sont au centre de votre roman. Peut-on considérer que ce sont là les deux grands thèmes de votre travail d’écrivain ?

     

     Je pense. La question du social, oui, j’y suis très sensible, en raison de mes origines et de mon expérience professionnelle, qui m’a amenée à faire beaucoup de « petits boulots ». Celle du désir aussi, plutôt que du corps, et celles de la peur de ne pas être aimé, de l’image de soi qu’on veut renvoyer, qu’on renvoie effectivement… Oui, ces deux axes-là : le social, et le désir ou peut-être l’amour.

     

     

     Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

     

     C’est trop tôt. J’ai recommencé à écrire en juin. Ce sera un roman, tellement différent du précédent que la fameuse question du « deuxième livre » ne se posera même pas, ce livre à venir n’aura rien à voir avec le premier.

     

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