• Une semaine de vacances, Christine Angot (Flammarion)

    Photo0088.jpgN’en déplaise à ceux qu’elle agace, Christine Angot n’est pas ridicule. Évidemment elle agace beaucoup de monde, c’est normal, elle est agaçante. Mais pas autant que l’hystérie médiatique qui se déchaîne dès qu’elle paraît, Dieu sait pourquoi.

     

    D’accord Angot aussi est agaçante quand elle se prend par exemple pour Rimbaud, mais dans cette naïveté il y a aussi quelque chose de touchant, d’attendrissant. Sans cette naïveté, sans sa candeur brutale, elle n’aurait sans doute jamais pu écrire certains de ses livres. Elle n’aurait pas écrit les livres complaisants où elle raconte les moindres détails de son existence avec l’air d’être convaincue qu’ils ne peuvent que passionner, mais elle n’aurait pas écrit non plus ceux de ses livres (Sujet Angot, Les Autres…) qui tirent leur force de la rigueur et de la simplicité d’un dispositif.

     

    Parmi ces derniers textes il y a cette Semaine de vacances qui fait tant de bruit. La simplicité est ici poussée à un point de radicalité systématique assez proche de la perfection. Limpide, voilà le mot qui vient à l’esprit, paradoxal s’agissant d’un livre aussi plein.

     

    Car Une semaine de vacances n’est que la longue description minutieuse de gestes, de postures et d’objets grossis jusqu’à l’obscène. Gestes et postures des actes sexuels, bien sûr, qui deviennent une gymnastique maniaque et vaguement désincarnée : « Elle rapproche ses deux jambes l’une de l’autre, la cuisse posée sur le couvre-lit se serre contre celle, tendue vers le sol, dont le pied marche sur la descente de lit, elle met le pied qui pendait dans le vide sur le tapis, à côté du premier, celui de la jambe qui… » etc. Mais aussi détails et objets anodins, quotidiens, obscènes au sens strict à leur tour, d’être considérés avec la même exactitude et la même attention, ni plus ni moins, que les muqueuses ou les organes : « Les grosses lunettes en écaille sont posées sur la table de nuit. À travers l’épaisseur impressionnante des verres, le marbre apparaît déformé, en décalage, comme coupé du reste de la table, comme un morceau cassé, les marbrures zigzaguent. Il glisse une main sous ses fesses, et introduit le pouce dans son anus. »

     

    L’étrange efficacité du dispositif choisi ici par Christine Angot réside en ce que cette impression de trop-plein qui confine au malaise va de pair avec un sentiment tout aussi intense de vide, de creux, de vacance. Tout est en trop dans ce livre, et tout manque : le fin mot (inceste), les noms des deux personnages, l’émotion, les explications, les commentaires. Pas d’état d’âme, plutôt des éclats de conscience, qui ne vont pas sans humour : « …elle pense qu’il va de toute façon vite revenir vers la partie pleine des seins, pour les reprendre à pleines mains, et que ce n’est donc pas la peine d’arrêter de le sucer pour recommencer quelques secondes après, en ayant fait ralentir le processus général, et peut-être compromis la finalité… »

     

    Tout dire, donc ne rien dire. La technique permet d’abord d’installer la violence, assez insoutenable, il faut le reconnaître, de ces quelques jours de vacances en tête à tête d’un père et de sa fille dans l’Isère. Mais elle met aussi en lumière quelque chose du sexe en général, cette gesticulation quelque peu frénétique pour saisir et embrasser le vide. Et, au-delà, le livre d’Angot, placé sous ce principe du tout et du rien, parle aussi de la littérature. Bien sûr il y est question, sexe ou pas, du voyeurisme du lecteur, qui lui revient ici au visage hypertrophié et grimaçant. Mais il s’agit aussi de l’éternelle question : comment dire le réel, comment appréhender ce qui refuse d’être dit. La solution de Christine Angot, en son innocence paradoxale : tout décrire, tout simplement. Et faire surgir, dans une éprouvante impression de satiété, ce qui échappe à la description.

     

    À propos de littérature, Christine Angot a aussi un rythme : sécheresse, accumulation, musique syncopée, on la reconnaît tout de suite. Ça n’est pas si fréquent. Et ce pourrait suffire, en dépit qu’on en ait, à faire aimer ses livres malgré elle et les autres.

     

    P. A.

     

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