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Elle n’a publié, de son vivant, que quatre nouvelles. Morte accidentellement à vingt-deux ans en 1966, Diane Oliver n’a pas eu le temps d’en écrire beaucoup plus. Et la redécouverte en 2023 de cette écrivaine africaine-américaine nous permet de lire aujourd’hui ce qui semble bien constituer, en quatorze textes brefs, son œuvre intégrale.
Du danger d’être noir
Sauf un (histoire d’un groupe d’amis et tentative d’écriture expérimentale qui n’auraient pas suffi à sa trop tardive notoriété), tous ces textes ont un seul sujet : ce qu’être noir veut dire, entre 1965 et 1967, dans le sud des États-Unis. En Alabama, en Géorgie, en Virginie, parmi les plantations de coton et dans les petites villes où, entouré de « gracieux saules pleureurs », s’élève un monument aux « soldats confédérés tombés au combat », le problème occupe une telle place qu’il est inutile de le nommer. Dans les récits de Diane Oliver, la couleur de la peau est rarement précisée. On la devine tout de suite, ou on la découvre grâce à telle remarque incidente. Ainsi d’Alice (La Visiteuse), qui, « après toutes ces années, [a] gardé son teint de jeune fille – pas assez clair pour passer pour une Blanche, mais d’un agréable marron clair ». Ou, à l’inverse, de Meg (Les araignées ne versent pas de larmes), dont on comprend qu’elle est blanche aux complications que lui cause le fait de sortir avec un homme dont on finit par comprendre qu’il est noir (« Elle était probablement la première Kelham à passer la nuit dans un motel pour personnes de couleur »…)
Car il est rare que les héros de ces nouvelles soient confrontés directement à la ségrégation ou au racisme. Certes, il y a la nouvelle-titre, Les Voisins, dans laquelle, devant les menaces et les bombes dans leur jardin, les parents d’un petit garçon renoncent à l’envoyer dans une école où il serait le seul élève noir ; ou Avant le crépuscule, où Jenny et ses amis vont délibérément s’asseoir dans une pâtisserie réservée aux Blancs et se faire arrêter. La plupart du temps, pourtant, ce sont les effets seconds de la couleur de peau qui sont montrés. Les parents de Winifred, héroïne de l’admirable récit intitulé Le Placard, ont tenu, par militantisme, à l’envoyer, seule Noire, dans une fac du Sud. Ses condisciples la considèrent avec une condescendance distante mais finiraient probablement par l’accepter, si elle-même ne se livrait à toutes sortes d’excentricités, installant dans la chambre qu’elle partage avec une autre étudiante « un zoo [en peluche] au grand complet », chien, tigre « avec des taches de léopard », « lapin jaune d’un mètre de haut », dont elle emballe certains, pour la nuit, « dans une housse en plastique de pressing ». Ayant fait fuir sa compagne de chambre, elle peut donner libre cours à ses fantaisies, et s’installer à demeure dans « le placard » – « C’était parfaitement logique (…), car il n’y avait pas de fenêtres, et elle n’avait pas à craindre d’attraper un rhume ». Être noir peut, dans un monde de Blancs, rendre fou. Ou exacerber les obsessions et les manies, faisant par exemple d’Alice, déjà nommée, une snob ravagée par le conformisme social.
Déterminismes croisés
Toutes les classes sont représentées dans ces quatorze récits : il y a, on le voit, des bourgeoises ; il y a beaucoup d’étudiantes ou de lycéennes sur le point d’en être – et plus encore d’employées de maison. Les personnages principaux sont tous des femmes. Et nombre d’entre elles attendent, souvent en vain, un mari parti travailler dans le Nord et « tellement occupé qu’il n’[a] plus le temps d’écrire », sans parler d’envoyer de l’argent. Aux épouses laissées seules de s’activer dans les maisons des Blancs pour nourrir tant bien que mal des enfants d’âges divers… Diane Oliver entrelace habilement déterminismes raciaux, sociaux et de genre, dont les répercussions superposées et croisées donnent sa profondeur à une mosaïque d’histoires composant à elles toutes une image saisissante de la communauté africaine-américaine à l’époque évoquée.
Une telle imbrication de facteurs exclut toute lecture univoque et militante. La vieille Mrs Gilley (Quand les pommes sont mûres), dont le père « disait toujours (…) qu’un jeune homme devrait avoir un drapeau confédéré, un cheval et surtout (…) une montre », lit avec intérêt les magazines progressistes que lui prête son jeune voisin car « il y a un moment (…) où on ne peut plus faire comme si les choses n’existaient pas ». Et Mrs Sears, l’institutrice de Notre sortie au musée de la nature, qui estime qu’on « ne [sait] jamais, avec ces gens-là », toujours prêts à « lui voler ses enjoliveurs » quand elle s’aventure dans leurs quartiers, est aussi la seule personne à se soucier vraiment de la jeune Latonya, qui l’observe, le menton posé sur son bureau, « sa tête paraiss[ant] sur le point de rouler jusqu’à tomber à plat, comme un presse-papiers ».
La forme courte, avec ses effets de juxtaposition, convenait à son humour, à sa liberté de ton, à son sens du détail qui parle. Quels romans aurait écrit Diane Oliver ? Nous ne le saurons jamais. Hélas.
P. A.