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Only rock & roll, Michel Crépu (Arléa)
Difficile d’écrire sur la fascination. Et, plus encore, sur ses fascinations personnelles. Michel Crépu le faisait, avec brio, dans Beckett 27 juillet 1982 11 h 30 (Arléa, 2019, voir ici), où il interrogeait sa passion pour l’auteur de L’Innommable et, au-delà, pour la lecture et la littérature. Il redouble la difficulté de l’entreprise en tentant, aujourd’hui, les Rolling Stones.
Comment ne pas être fasciné par les Rolling Stones ? Crépu l’est, comme tout le monde, voire plus, et sait que la fascination naît de l’après-coup : « Il y a beaucoup de souvenirs dans l’histoire du rock. Il n’y a même que cela, en un sens », constate-t-il. Seulement, « cela peut-il s’écrire ? »… C’est toute la question. Difficile d’écrire sur la musique, et plus encore sur le rock and roll, qui, en plus d’être musique, est mythologie. Ceux qui essaient de le faire se croient en général obligés d’adopter un certain ton et un certain style, dont on retrouve ici les traits caractéristiques. Phrases courtes, images accumulées et juxtaposées : « Les anges sont au rendez-vous », « Il y a (…) de quoi faire tomber la foudre », « Pourquoi vont-ils si vite et pourquoi sommes-nous si lents ? »… Qu’est-ce que ça veut dire, exactement ? La question même sonne comme une incongruité : dans le monde dont nous parlons, tout doit être asséné, surtout pas analysé ou expliqué.
Autoportrait d’un fan
En cela, l’auteur calque d’ailleurs son attitude sur celle, dit-il, de ses héros. Mais le parallèle s’arrête là, et il ne faudrait pas chercher le mimétisme dans l’effort de Crépu écrivant sur les Stones. Quoi, en effet, de plus structuré qu’un rock ? Alors que le refus du plan et de la structure s’affiche ici à la manière d’une profession de foi. Pas de vie des héros ni d’histoire du groupe pour imposer un déroulement chronologique. Et pas vraiment d’autobiographie non plus, sauf réduite à quelques éclats : le premier électrophone, acheté par le père ; le petit groupe fondé au lycée ; les rayonnages de l’étagère, où les disques voisinaient avec Le Grand Meaulnes et Moby Dick. Plus les innombrables souvenirs de concerts, évidemment. Et le beau récit d’une interview de Keith Richards par Crépu lui-même, une nuit, à Bruxelles.
Tout cela ne fait au moins pas un roman biographique, ce qui, par les temps qui courent, est rafraîchissant et déjà énorme. Tout cela fait quoi ? Un essai sur les Stones ? Moins encore qu’un récit… Peut-être, en revanche, une manière d’autoportrait d’un fan. Michel Crépu, c’est une autre de ses originalités, revendique le terme. Qu’est-ce qu’un fan ? Quelqu’un qui, justement, refuse d’expliquer, tant l’habite l’évidence qu’il ne peut et ne veut partager qu’avec d’autres fans. D’où, pour le lecteur qui ne fait pas partie de la confrérie, l’impression par moment d’écouter un soliloque plein de sous-entendus écrit dans un dialecte qu’il ignore.
Gigots, motels et modestie
Des idées passent, pourtant, portées par le flux, qu’on aurait aimé voir développer. Sur les différences d’imaginaires entre l’Angleterre (« mercenaires du XVIe siècle », « gigots dans la cheminée énorme ») et l’Amérique (« motels perdus au fond du Texas ») ; sur « la magnificence du banal » révélée par le surgissement du « privé » chez les stars (« Un pull jeté sur une chaise pouvait s’offrir à ma soif d’enchantement »). Et puis ce qu’on pourrait considérer comme la thèse, paradoxale et souvent répétée : le goût du « travail », la « modestie », « un certain principe de sagesse » comme pierres angulaires du groupe et seules explications de sa longévité (« Il y a les bons qui bossent et il y a les autres qui s’écroulent au premier tournant parce qu’ils ne bossent pas »). On regrette que ces réflexions disparaissent aussitôt qu’esquissées, pour ne refaire surface que sur le mode de la redite. Mais quoi ? Le genre veut ça. Ou serait-ce le sujet ? On ne le saura pas cette fois-ci. Affaire à suivre.
P. A.
Tags : Only rock & roll, Michel Crépu, roman français, biographie, musique, rentrée 2022
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