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Les Choix secrets, d’Hervé Bel, et autres livres qui s’imposent plus ou moins.
Quelques romans de l’automne étaient restés sur ce qu’on appelle ma table de travail — on dit ça comme ça, je ne travaille pas à une table et de plus ils n’étaient pas dessus. Consacrons quand même quelques lignes à ces ouvrages, réunis ici pour ce qu’on appelle un tir groupé — façon de parler.
Je ne m’attarderai pas sur A l’abri du déclin du monde, de François Cusset (P.O.L.), ce lourd pavé tout imprégné du désir d’être au goût du jour tombe vite des mains.
Les autres ouvrages sont des histoires de maladie et de famille : quand ils ne racontent pas la vie de quelque grand homme les romans ces derniers temps ont deux thèmes, la famille, la maladie. Certains cumulent.
Nous avons ainsi Le Crabe, l’ermite et le poète, de Jean-Luc Maxence (Pierre-Guillaume de Roux). Comme le titre l’indique, il s’agit du cancer. J’ouvre au hasard : « Logiquement, Marc se pose la question de la survie (ou de la vie ?) après la mort. Il salue la présence de Dieu dans son âme affamée de Sens ». « Un récit de très haute spiritualité », dit le quatrième de couverture. Je ne pense pas le lire.
Le livre d’Arno Geiger, Le Vieux Roi en son exil, traduit de l’allemand par Olivier Le Lay (Gallimard), vaudrait sûrement qu’on s’y accroche. L’écrivain autrichien y évoque l’Alzheimer de son père (coup double), et on y trouve une vision assez aiguë des effets du mal. Seulement, au bout quand même d’une centaine de pages, on continue à ne pas voir très nettement pour quelle raison il faudrait s’intéresser à la vie de cet homme. On renonce dans un soupir.
Avec Les Choix secrets, d’Hervé Bel, chez Lattès, c’est plus compliqué. On ne sait pas très bien pourquoi on lit jusqu’au bout cette histoire sinistre dont le titre ne veut pas dire grand-chose, mais on la lit. Il est vrai qu’on est appâté dès le début par l’évocation du rituel vespéral observé par Marie : « Pour la fenêtre, elle serre la poignée de toutes ses forces et pense : Je suis là, je tiens la poignée, je la tire, et la fenêtre ne s’ouvre pas ». Ceux qui, comme moi, ont la névrose plutôt obsessionnelle, apprécieront. Un peu plus loin la collection de figurines en cristal (« des petits chiens, des ballerines, un cerf dont les bois sont si fins qu’une des hantises de Marie est de les briser en les nettoyant… ») apparaît comme une jolie métaphore, et transparente.
Ensuite, toutefois, pendant un long moment, on se demande ce qui fait qu'on insiste. La maladie, ici, c’est l’âge, celui d’une très vieille et très méchante femme. On navigue entre les souvenirs de son passé, au cours duquel elle a tyrannisé tout le monde, et le présent où elle n’a plus à se mettre sous la dent que son mari, en phase terminale. Hargne, constipation, pensée qui « jamais ne s’arrête… ratiocine, dissèque, déchire, pique, insulte, pleure, hurle, proteste, décime, tue, dans une ronde sans fin ». Mais comme cette sage énumération l’atteste, rien de la folie qui ravage l’ « héroïne » ne semble passer dans l’écriture. On songe à Julien Green, à Mauriac, experts tous deux en sales bonnes femmes et en ténèbres intérieures, et on suit avec le plaisir qu’on prendrait à relire ces gens mêlé au sentiment d’une certaine vanité le récit d’une vie qui ne connaît d’accidents que minuscules.
Puis on en vient à se dire que la forme d’excès propre au livre se cache peut-être paradoxalement là, dans cette désuétude appuyée (la fille Chassepot, le docteur Python, « Par temps de grande chaleur, il ne portait qu’une finette »). En tout cas on est sensible à la manière dont cet excès s’impose peu à peu, sournoisement, pour éclater dans le bouquet final d’une vision de cauchemar — la cuisine de Marie où la vaisselle ni le ménage n’ont été faits depuis longtemps, vue soudain par les yeux des autres.
Pas mal, quand même, se dit-on en refermant le livre. Peu sûr que cette lecture s’imposait davantage que les précédentes, mais constatant qu’on l’a menée à bien et conscient que, par les temps qui courent, c’est déjà beaucoup.
P. A.
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Commentaires
6Alain D.Vendredi 28 Juin 2013 à 18:01On a la langue bifide, aujourdhui...RépondreJ'avoue être moins enthousiaste, en ce qui concerne cet Echenoz-ci. Voir ma note de lecture. Mais même un moins bon Echenoz...
Tordant! Je fais la même constatation que toi, mais en feuilletant les livres chez un libraire, et c'est assez incroyable: comment peut-on éditer autant de navets? J'ai aimé "14" de Echenoz : 125 pages, et tu as toute la guerre de 14-18 avec une histoire d'amour aux protagonistes multiples. Quelle admirable concision!Non, simplement quelques pointes, comme les hérissons de l'image. Mais vraiment on n'en finit pas de s'étonner devant le nombre de livres dont on pourrait se passer.
"Je ne pense pas le lire". C'est méchant mais j'adore!
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