• Le Paradoxe d’Anderson, Pascal Manoukian (Seuil)

    www.elisabethpoulain.comC’est l’histoire de Christophe et d’Aline. Ils ont un petit garçon, Mathis, et une grande fille, Léa, qui prépare le bac. C’est elle qui apprend et nous apprend le paradoxe d’Anderson, selon lequel « l’acquisition par un étudiant d’un diplôme supérieur à celui de ses parents ne lui assur[e] pas nécessairement une position supérieure dans la vie professionnelle ».

     

    Sous un titre de SF se cache donc tout le contraire d’un monde parallèle peuplé de créatures aux multiples bras. Nous sommes dans l’Oise, pas très loin de Beauvais. On vote pour le FN, mais personne n’a l’air de l’aimer beaucoup. Peu de monde issu de l’immigration, parmi les ouvriers que Pascal Manoukian met en scène. Ce sont des enfants de la province, fils et filles de paysans, qui ont gardé le goût de la terre et se rappellent le bleu du lin d’autrefois.

     

    « L’heure de l’ouvrier »

     

    Mais le père de Christophe a fini par vendre ses champs à Univerre, qui y a construit une usine de bouteilles, où son fils passe sa journée devant les fours. Quant à Aline, elle est contremaîtresse dans une fabrique de chaussettes. Ces gens aiment « le travail bien fait et le travail tout court ». Ils ne détestent pas partir de chez eux quand « l’aube redessine l’horizon en lueurs roses et pâles », à « l’heure de l’ouvrier, du paysan, des trois-huit ». « Les autres, les cravatés, les vendeurs, les caissiers, devront se contenter des rougeurs tape-à-l’œil de l’aurore ». Pascal Manoukian retrouve des accents dignes de Zola pour célébrer la fierté d’être ouvrier, le goût « du geste précis et maîtrisé » : « dix années d’apprentissage pour cinq secondes de perfection ».

     

    Seulement, la mondialisation s’est abattue sur le pays : « Plus de ces immenses demeures d’où les patrons gardaient un œil sur les quartiers ouvriers, juste des sigles, des fantômes dont on ne sent le souffle que lorsqu’il est trop tard ». Et le souffle passe : délocalisation, compression de personnel, Christophe et Aline, coup sur coup, perdent leur emploi. En dix chapitres, d’ « Août » à « Mai », le roman nous raconte les effets du chômage sur les individus ; la lutte, l’usine occupée ; les efforts pour cacher la situation aux enfants ; les révoltes et les soubresauts, qui, dans un épisode des plus réjouissants, verront nos deux héros se muer en Robin des Bois pilleurs de supérettes. Car Manoukian et ses personnages se méfient du militantisme traditionnel, lui préférant les « petits gestes » dont sont nés « les grandes utopies ».

     

    Happy end ?

     

    Que dire d’un tel livre, sinon qu’il est formidablement sympathique… et un petit peu ennuyeux. Sympathiques, l’indignation du narrateur, sa virulence envers des patrons et des DRH tous résolument caricaturaux, son attention pour les humbles, inévitablement aimables. On peine cependant à s’intéresser à des personnages aussi dépourvus de nuances. Et puis, l’auteur, qui est journaliste, a tendance à faire du journalisme : ses analyses socio-économiques sont bien documentées, certes, intéressantes, mais, pris par son sujet, il oublie trop souvent de les incarner. On pourrait lire ça ailleurs. D’ailleurs, on l’a lu.

     

    Au fond, le mérite du livre, sa volonté de s’en tenir radicalement au quotidien, son refus des effets romanesques, est peut-être aussi ce qui fait sa faiblesse. Comment ? On se plaindrait du manque de romanesque, sur ce blog ?... En tout cas, quand, au dernier chapitre, tout se dramatise et s’emballe, dans un montage alterné qui allume contrastes et tensions, jusqu’à un dénouement sans happy end, on déplore que ça vienne si tard. Ce finale nous ferait presque regretter d’abandonner Aline et Christophe à un sort que Pascal Manoukian a voulu impitoyablement désespéré. Car Le Paradoxe d’Anderson est, à tout point de vue, sans concession. C’est déjà beaucoup.

     

    P. A.

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