• La Fin du sentiment amoureux, Stéphane Denis (Grasset)

    www.lalsace.frÇa se passe dans un train, lequel, à travers l’Europe centrale, s’achemine par d’étranges détours vers Vienne et, au-delà, si j’ai bien compris, Venise. Dans le compartiment : un jeune couple de fiancés et un diplomate plus vieux. Le convoi s’immobilise en rase campagne et ne repart plus (dans ces pays-là, vous savez…). Le jeune homme va aux nouvelles et ne revient pas. Le diplomate et la jeune femme, restés seuls, regardent par la fenêtre « le paysage sans forme ni couleurs où quelques bouquets d’arbres squelettiques trac[ent] des coups de crayon ». Enfin, ils se mettent à converser.

     

    Fantasmes et idées

     

    Il s’appelle Munzu (prénom d’un militant de la cause noire, pour laquelle sa mère, dans l’Afrique du Sud où il est né, s’était enthousiamée) Munzu (nom propre fréquent en Ariège, d’où son père était originaire). Elle se nomme Calliope, en toute simplicité. Le ton est donné et vous devinez la suite… Munzu Munzu va détourner Calliope d’un mariage vers lequel elle se dirigeait d’un pas déjà hésitant. « Il voyait le doute s’infiltrer en elle (…) au rythme de son récit, et dut s’avouer qu’il ne résisterait pas à la tentation de continuer ». Le récit en question, c’est celui que le diplomate fait de sa propre vie. En deux mots : il a épousé et aimé dans sa jeunesse la belle Stella, qui « pratiquait l’engagement comme un sport de haut niveau » ; elle lui a empoisonné la vie en se lançant pendant plusieurs années dans toutes les causes humanitaires et politiques disponibles, avant de mourir quelque part en Orient, plus ou moins convertie à une forme de bouddhisme et convaincue de se réincarner ; ce qu’elle a fait, d’abord sous les espèces d’une jeune chienne très jalouse (Baballe), puis d’une autre femme aussi fatigante que le première. Notre homme pense avoir réussi à s’en débarrasser. Mais attendons la fin.

     

    Il y a quelque chose d’attendrissant dans le caractère évidemment compensatoire du fantasme mis ici en scène par un écrivain né en 1949 – un homme d’âge bien mûr persuade une jeune femme de quitter son fiancé, et irait plus loin sans difficulté si d’autres soucis, que nous ne révélerons pas, ne l’appelaient ailleurs en dernier ressort. La défense de l’ONU, où Munzu Munzu travaille, et de la diplomatie en général pourrait par ailleurs constituer une originalité, tout comme la référence au conte oriental. Mais, hélas, le narrateur et son auteur, Prix Interallié 2001 (1), journaliste en son temps au Quotidien de Paris, à Paris-Match et au Figaro, ont des intentions, voire, pire, des idées… Ils entendent dénoncer les excès du féminisme actuel (« La fin des jeux de l’amour signifiera la fin du hasard. Je pense qu’un jour les femmes le regretteront »). Tant qu’à faire, ils comptent aussi stigmatiser ce qu’on a appelé, un temps, le politiquement correct. Tout cela nous vaut un propos, avouons-le, lourdement réactionnaire : les militants, et surtout les militantes, sont des casse-pieds ; les grands idéaux sont des illusions naïves et dangereuses ; les Champs-Élysées sont un endroit très dangereux « un soir de match de foot avec l’Algérie » ; toute élévation intellectuelle est risible, qu’il s’agisse de Nietzsche (« gâteux dès l’enfance ») ou de Claudel (« Sa sexualité n’a jamais été bien éclaircie, comme ses poèmes »).

     

    Recyclage et miroirs

     

    Est encore plus réactionnaire, au sens strict, le choix d’une littérature délibérément tournée vers le passé. Stéphane Denis recycle… bien des choses : la nouvelle-huis clos et l’histoire de train ; l’aventure internationale en milieu diplomatique et la nouvelle-conversation, surtout, avec leur exigence d’écriture spirituelle et de style connoté littéraire… Le souci visible de se conformer à cette dernière règle n’empêche pas en l’occurrence quelques errements syntaxiques, et les efforts pour respecter la précédente conduisent à une systématique volonté de faire drôle, par les moyens d’une ironie qu’il est permis de trouver un peu lassante.

     

    Et puis, le grand danger du conte philosophique ou moral, évidemment, c’est la sentence. Il y en a, dans La Fin du sentiment amoureux… Elles se veulent, comme de juste, profondes bien que teintées de souriante indulgence : « Le mensonge fait beaucoup plus pour la longévité d’un couple que la fidélité » ; « Nous sommes capables du meilleur et du pire, mais pas toujours en même temps » ; « Les tragédies sont des comédies qui se prennent au sérieux » ; ainsi de suite. Les comportements stéréotypés qu’il s’agit de stigmatiser contaminent le texte lui-même, qui se fige dans les clichés. Voir dans ce jeu de miroirs une forme particulièrement sophistiquée d’auto-ironie serait prêter à l’auteur une perversité qu’on lui souhaite.

     

    P. A.

     

    (1) Sisters, Fayard, 2001

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