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L’Effet Titanic, Lili Nyssen (Les Avrils)
Les « sources et références », regroupées à la fin, font signe, dans leur disparate et par le besoin même de les afficher, en direction de ce qui est le thème central, pour ne pas dire unique, de ce premier roman : la jeunesse. Baricco, Despentes, Titanic (de James Cameron), des chansons – mais aussi Racine, Platon ou Aragon, ce ne sont pas là des modèles mais, disons, des balises, dans un livre où l’espace et le temps sont d’une simplicité trompeuse.
Boucle temporelle
Lili Nyssen a vingt-cinq ans. Sa narratrice aussi. Ses deux héros en ont quinze ou seize. Dans la vie de tous ces gens-là presque rien n’a encore eu lieu, pourtant chacun semble figé dans un long regard en arrière. L’enfance, obsessionnellement mentionnée, tire tout le monde vers le passé, et on ne sait pas très bien s’il s’agit de s’en défaire ou de la retrouver. Pas d’avenir, ou si peu, que symbolise surtout le motif du vide souvent ouvert devant les personnages, et de la possible chute. Tout baigne dans une étrange nostalgie originelle.
Pour dire ce suspens, cette instabilité fondamentale, l’auteure trouve une écriture singulière. Ça n’est pas si fréquent, encore moins dans un premier livre. Ruptures et ellipses, phrases nominales, emploi adverbial (« Les bouches s’examinent mouillées ») ou nominal (« le front collé au paysage, la buée s’accroche au connu qui se retire ») de l’adjectif, jeu sur les virgules (« des mélanges de sombres, brumes tempêtes orages déferlantes, des catastrophes amoncelées »). Pas de lyrisme mais un travail, pour cerner quelque chose qui s’impose et se refuse. Cette écriture est la véritable héroïne, c’est d’ailleurs elle qui est mise en scène.
Récrire l’histoire
La narratrice, qui habite au Havre pour ses études, sort d’une rupture. Elle traîne, dérive, ressasse, cherche des compagnons d’un soir sur Tinder. Ou alors elle écrit l’histoire de Flo et Zak. Deux ados, la première issue de la petite-bourgeoisie et vivant avec sa mère, le second habitant avec son père et son frère dans un « quartier ». Elle est petite, fluette, encore très enfantine. Il ne voit que d’un œil, l’autre est « une boule à neige » (« Sous le verre de la cornée, des intempéries sans bruit »). Ces singularités sont peut-être ce qui les a rapprochés.
C’est l’histoire d’une fille qui raconte une histoire : « J’essaye de me souvenir de ce que c’était, quinze ans », dit-elle, obéissant à la loi temporelle qui régit le livre. Elle fait part de ses difficultés (« Je n’arrive pas à écrire ce que Zak pense, même à l’imaginer (…). Zak comme une version de grec »), elle commente (« Zak et Flora n’ont AUCUN rapport avec nous » – pas si sûr). Que raconte cette histoire ? Presque rien, c’est là son mérite, et, pourtant, c’est une très vieille histoire, qui nous revient ici sous des couleurs nouvelles. Elle raconte le corps désirant pour la première fois, ses pièges, ses trésors cachés (« Il y a des endroits qui étonnent, des gestes qu’on n’attend pas, même si pourtant on en a vu, on en a lu, on s’est renseigné sur le sujet »). Elle dit l’effet que ça fait d’être amoureux, quand « plus rien n’est anodin », elle dit « l’attente », « la dégringolade, le vertige », jusqu’à un récit de première nuit qui réussit le tour de force de rester toujours juste, sans fioritures, dans un mélange d’humour et d’émotion retenue.
L’amour et la ville
Ah, évidemment, rien n’est parfait dans un premier roman, et on peut déplorer qu’à ce point culminant succède une fin qui est sa seule faiblesse – les malheurs accumulés sur ce pauvre Zak nous emmenant aux frontières du mélo. Mais ce ne sont que quelques pages, dans un récit qui arpente et sillonne le territoire du premier amour sans jamais tomber dans l’effet Roméo et Juliette. Pas d’animosité des familles ni de préjugés de classe ou racistes pour séparer les jeunes amants. Pas vraiment de social, et, si Lili Nyssen parle des rapports entre hommes et femmes en termes très contemporains, cela non plus ne prend jamais un caractère militant.
Et puis il y a la ville, ses escaliers, ses plages : « Le soleil du Havre tremblote entre les nuées. Il verse un peu de sa lumière blanche de temps en temps, pour ne pas que la ville chagrine ». Il y a la mer et le temps qu’il fait, quand « tout le ciel du monde s’amasse au-dessus » de la ville…
Bref : vivement le deuxième roman de Lili Nyssen.
P. A.
Illustration : l'église Saint-Joseph au Havre
Tags : Lili Nyssen, L'Effet Titanic, enfance, adolescence, roman français, rentrée 2022
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Commentaires
2Garrigou VéroniqueSamedi 22 Octobre 2022 à 19:23En tant que havraise, je note, forcément!
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Dimanche 23 Octobre 2022 à 09:15
Nous sommes donc souvent et presque voisins, je suis très fréquemment à Trouville, d'où je contemple de loin Le Havre et cherche de l'oeil le clocher de Saint-Joseph...
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Le master de création littéraire de l'université du Havre nous a déjà offert d'autres premiers romans, c'est certainement le signe d'une formation de qualité...Personnellement j'ai participé depuis trois ou quatre ans à des ateliers d'écriture proposés par deux étudiantes de ce master et c'est vraiment intéressant d'écrire à partir de propositions imaginées et menées par des jeunes!