• L’Aurore, Pia Malaussène (Mercure de France)

    twitter.comEncore une histoire de famille, se dit-on tout d’abord à la lecture de ce premier roman. La narratrice traverse la France, de Paris au Sud, pour aller annoncer à son frère, Christophe, que leur jeune sœur, Agnès, a été internée. Ce dénouement menaçait depuis longtemps de se produire. C’est une question à elle posée, le jour de la soutenance de sa thèse sur les fractales, qui a précipité les choses : « Tu vas le dire à maman ? »

     

    Ténébreuse aurore

     

    Maman a disparu on ne sait trop où, à la mort du père, emporté par la maladie mystérieuse qui le rongeait depuis des années, pendant lesquelles « il avait (…) essayé d’aider les docteurs qui s’étaient succédé en produisant régulièrement de nouvelles séries de symptômes qu’on croyait identifier enfin mais qui ne menaient à rien ». On le voit, une malédiction semble peser sur cette famille. Celle qui parle a l’impression d’être (tant mieux pour elle) « enfermée dehors » (« J’avais assiégé ma famille sans jamais pouvoir franchir les portes de son territoire »). Cette fois, elle compte bien sur son frère pour la faire entrer dans la place. C’est pas gagné : si ce solitaire se passionne non seulement pour les confitures mais aussi pour les recherches généalogiques, ce qui l’intéresse, « c’est les noms », lesquels paraissent avoir pour fonction de masquer les vies qu’ils désignent plutôt que de les ressusciter.

     

    À la fin, pourtant, dans un récit que d’autres récits enchâssés annonçaient, la vérité se fera jour, justifiant le titre de la seule manière possible sauf à y voir une antiphrase. Car la première originalité peut-être de cette affaire de famille parmi tant d’autres qui se publient, c’est sa noirceur. Bien souvent, les textes figurant en quatrième de couverture ont des formules qui laissent perplexe. Là, c’est pourtant avec pas mal de justesse que l’« ambiance oppressante » du texte est associée à « la forêt équatoriale » qu’il en viendra à évoquer.

     

    Tropiques, gouffres et fractales

     

    C’est en effet en Guyane que Pia Malaussène, fille, nous dit-on, de chercheur d’or, est allée cacher le secret si longtemps cherché par son héroïne. Ce qui lui permet d’installer un contraste signifiant entre une campagne française morne et pelée et le pays du bagne, tout en chatoiements et ailes de papillons. La forêt guyanaise, c’est oppressant, mais beau. Pour dérouler les replis de son labyrinthe tropical et familial, Pia Malaussène opte pour une phrase sinueuse, précise — parfois précieuse, comme quelques images un peu lourdes l’attestent, mais ça nous change quand même agréablement de bien des choses. On serait tenté de trouver un peu lourdes aussi les explications un brin détaillées de la fin, si l’important, ici, n’était au fond pas tant une révélation trop spectaculaire pour ne pas constituer aussi une manière de leurre, mais le chemin qui y a conduit, et qui constitue en lui-même une méditation sur le caractère problématique et fuyant de la vérité.

     

    Notre auteure use de différentes images pour en parler, ou pour dire (c’est la même chose) la façon dont elle se dérobe. Il y a les fractales d’Agnès, ces objets géométriques « infiniment morcelés », révélant « les mêmes détails à des échelles d’observation de plus en plus fines », et qui paraissent reporter à l’infini la chose à voir. Il y a les voix d’Agnès, celles qui hantent son esprit et qui, comme celles de la famille pendant les conversations creuses des dimanches, désignent les non-dits en les recouvrant. Il y a le gouffre qu’est Agnès elle-même, et que la narratrice, en voulant le sonder, approfondit (« Tourner autour d’Agnès ne creusait qu’un fossé cernant sans le toucher son être réfractaire »). Aucune de ces figures n’épuise le sujet, bien sûr. Le vrai sujet d’un livre qui évite les pièges du roman familial avec dépendances socio-historiques, pour aller, par les détours qui seuls y mènent, à l’essentiel : « ce qu’on ne peut pas dire ». « L’horreur », précise le frère.

     

    P. A.

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