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Je n'irai pas aux assises du roman
D’ailleurs il est trop tard, c’était du 23 au 29 mai. Et je n’étais pas invité de toute façon. Je regrette bien. J’aurais acquis des idées claires à propos de la littérature. Percival Everett, par exemple, aurait mis fin à mes dernières hésitations : « En tant qu’artistes m’aurait-il dit les yeux dans les yeux, nous sommes chargés de représenter le monde, de le révéler, de le montrer ».
Voilà qui est net. Du reste Le Monde (celui des Livres) pose en gras la question « L’écrivain peut-il échapper à l’actualité ? », on comprend tout de suite que cette question veut dire « L’écrivain doit représenter l’actualité », et on est soulagé. Le nombril c’est fini. « Longtemps je me suis couché de bonne heure » ou « Je crois que j’ai une maladie de foie », adieu,. Il faut dire que ça commençait à bien faire. L’écrivain n’a eu que trop longtemps tendance à parler de son nombril, il est temps que ça cesse, halte au nombril, des ponts, comme celui de Maylis de Kerengal, « récit vertigineux de la construction d’un symbole de la mondialisation ».
C’est quand même autre chose que le coucher de Marcel ou le foie de Fédor. Et là au moins on voit l’utilité. Le coucher le foie on hésite mais la mondialisation on comprend tout de suite que c’est quelque chose, le journal nous en parle tous les matins, même la télé et la toile nous en parlent. L’actualité on n’y coupe pas comme dirait Marie Desplechin. Marie est d’accord avec Maylis et Percy, elle pense aussi qu’ « il faudrait être extraordinairement nul pour ne pas être percé par son temps ». Ça doit faire un drôle d’effet, et en même temps il doit être beau d’être ainsi percé, traversé par l’air ambiant, plein de courants d’air, plein de vide. Vous vous penchez vers votre nombril là vous tombez sur une percée qui ouvre directement sur le monde, il y a de quoi avoir le vertige mais ça remet les idées en place.
Le mot « monde » intervient quatre fois dans les deux mots d’introduction que fait celui des Livres à son numéro spécial Assises. On voit dès le début que la cause est entendue. Les auteurs qui siègent à ces Assises nous dit Le Monde ont « la ferme conviction que la littérature n’est pas un monde hors du monde ». Santiago Gamboa par exemple a bien compris ce que les lecteurs attendent. Ce que les lecteurs attendent de la littérature c’est « ce que ne peuvent dire la théologie, la philosophie, la théorie sociale ou la science ».
Dire qu’il y a eu des gens assez niais pour penser qu’ils attendaient ce que pouvait dire la littérature. Des gens à qui tenez-vous bien les accidents du monde apparaissaient « tous transposés comme pour l’emploi d’une illusion à décrire », et qui la décrivaient « seuls, pour eux-mêmes », « dans la solitude, faisant taire ces paroles qui sont aux autres autant qu’à nous ». Heureusement Maylis Santiago et les autres sont arrivés, ils ont bien montré que Gustave et Marcel étaient crétins.
Parce que je vous parle de Gustave de Fédor de Marcel de Frantz, mais il ne faudrait pas croire qu’on en a complètement fini avec ces conceptions surannées. Ça n’est pas pour rien que des Assises du roman sont organisées à la Villa Gillet à Lyon, il faut rester vigilant, attentif, le nombril on n’en est jamais sorti. Le nombril nous guette toujours. Après Marcel, James, ça a continué, Samuel, Thomas, des histoires de clochards qui sucent des cailloux ou de musicologues hystériques s’entendant mal avec leurs sœurs. Pauvreté. Donnez-nous des ponts ! De l’actuel du saignant du brut, le Rwanda les tsunami les migrants, bref, l’Histoire !
Bon, c’est vrai qu’en tout état de cause les auteurs qui essaient de s’affranchir de l’Histoire eh bien c’est l’Histoire qui « s’affranchit d’eux », « Bye bye les gars ! », comme dit élégamment Marie. Bye bye Gustave, Marcel et Sam. Mais c’est quand même un long adieu. Forcément une erreur de cent cinquante ans ne s’efface pas comme ça d’un coup. Il y a des gens qui persistent, qui s’obstinent, qui y croient toujours. Il faudra encore bien des Assises pour les amener à la repentance, à l’actualité, à l’Histoire. De mauvaise foi comme tout ils prétendent même en parler aussi quand ils s’adressent à leur ombilic.
Incroyable le culot de ces gars. Ils croient qu’ils peuvent s’en tirer comme ça, nous raconter leurs petites histoires riquiqui et nous donner la vraie Histoire en sus en passant sans y toucher. Tout le XIXe siècle dans la mésaventure d’une petite dame qui a trop lu, tout l’après-guerre dans un clochard, toute l’Autriche dans la maison d’un névropathe. Et ça continue, Kertez, autre dadais, s’imagine nous parler d’Auschwitz même lorsqu’il n’en dit rien, ce sot de Bergounioux croit nous faire voir les années soixante quand il coupe les cheveux en quatre à propos de ses affaires de famille à Brive-la-Gaillarde. Je dis qu’il est temps d’ouvrir les yeux à ces gens-là.
P. A.
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Commentaires
2Fabienne GrünfeldVendredi 28 Juin 2013 à 18:05On ne saurait dire plus drôlement ce qui navre. Toute époque aurait-elle, ainsi que ses héros, la littérature qu'elle mérite?RépondreC'est à craindre, mais tout ça est aussi une affaire de mode. Espérons que celle-ci passera vite!
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