• Histoire du fils, Marie-Hélène Lafon (Buchet-Chastel)

    www.leparisien.frOn m’en a dit si souvent tant de bien… Beaucoup de mes amis ne tarissent pas d’éloges à propos de Marie-Hélène Lafon. Je leur réponds que je n’ai pas été convaincu par Les Pays (Buchet-Chastel, 2012, voir ici) : trop d’adjectifs à mon goût dans ce roman, qui racontait le même genre d’histoires que Michon ou que Bergounioux, la profondeur en moins. Quand je dis ça, mes amis s’attristent. Et moi, j’ai fini par penser que j’avais sans doute lu le moins bon livre, dans les pires dispositions… Bref, lorsque Histoire du fils a été annoncé par l’éditeur habituel de Marie-Hélène Lafon, j’ai vu l’occasion de rattraper ce qui était sûrement une erreur.

     

    Histoires de pères

     

    C’est une histoire de fils, au pluriel, ou, si l’on préfère, de pères. Qui se passe, bien sûr, de part et d’autre du Massif central, côté Cantal et côté Lot. Au début, un enfant meurt ébouillanté, comme dans le film de Téchiné, Souvenirs d’en France. Ce décès, c’est apparemment le vrai cœur du livre. En tout cas, c’est le déclencheur du récit : « Paul racontait que la mort d’Armand avait acculé sa mère et sa tante à la religion, son frère Georges (…) à la perfection, son père à l’ambition et lui à la sauvagerie ». Paul (Cantal) était le jumeau d’Armand. C’est à Gabrielle (Lot) qu’il raconte. Elle est sa maîtresse. Elle l’est devenue alors qu’elle était infirmière au lycée d’Aurillac, et lui élève. « Cette femme singulière et cadenassée », dotée d’une irréductible volonté d’indépendance, suivra son jeune amant à Paris, où il est « monté » « faire son droit ». Mais elle ne lui dira jamais qu’il est père d’un petit André, ayant compris que ce futur avocat et homme à femmes veut avant tout « vivre et briller, tout avoir et jouir de beaux fruits ». André sera élevé par Hélène, sa tante, et son oncle Léon, quelque part du côté de Figeac. Avec sa femme, Juliette, il se rendra un jour sous les fenêtres de l’auteur des siens, mais pas au-delà. Puis il deviendra père à son tour, d’Antoine, lequel, à la fin, dans un cimetière, comme il se doit, récapitulera pour nous l’histoire.

     

    Une histoire simple, comme on voit… On se demande pourquoi Marie-Hélène Lafon a cru bon de la transformer en un puzzle de douze courts chapitres, avec va-et-vient dans le temps et changement constant de points de vue. Pour vous faire le résumé ci-dessus, j’ai dû procéder comme, c’est révélateur, un des personnages : « crayonn[er] un arbre généalogique ». Peut-être s’agissait-il de proposer au lecteur un stimulant exercice intellectuel… Ou, plus probablement, de rendre sensible l’épaisseur du temps, car l’Histoire, même si elle est ponctuellement présente, fait ici singulièrement défaut.

     

    Le trou

     

    Le problème, c’est qu’on n’a le temps de s’attacher à aucun de ces personnages, ni de voir pourquoi exactement on devrait s’intéresser à leurs vies, dont on lit le récit sans véritable ennui mais sans réelle curiosité. D’autant que ça manque de chair. D’arrière-plans, historiques, donc, mais aussi matériels et perceptifs. Sauf pour ce qui est des odeurs : notre auteure a l’imaginaire olfactif. Seulement, les odeurs, ça ne suffit pas pour faire voir. La seule évocation un peu parlante est, curieusement, celle de Paris, au printemps, quand « le crépuscule est mauve, les bourgeons de certains marronniers éclatent déjà, et leur vert acidulé, presque surnaturel, troue la pénombre ». C’est beau, mais c’est peu. Et puis, manquant de chair, ça manque forcément aussi un peu de sujet. La place du père, certes, vue du point de vue du fils, « vide, vacante, et vertigineuse » — « le trou du père », pour parler comme un des personnages. Mais enfin il ne suffit pas de répéter, comme c’était déjà le cas dans Les Pays, que tel ou tel thème est essentiel pour qu’il le soit.

     

    L’écriture, il faut le reconnaître, est plus sobre ici. Même si la narratrice est parfois reprise par ses démons : un « cigare têtu », des « caveaux péremptoires »… Elle aime les personnifications. Et moi, mes amis vont encore m’en vouloir. Mais, décidément, quelque chose m’échappe. Il doit me manquer une case.

     

    P. A.

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  • Commentaires

    2
    Véronique Garrigou
    Mardi 6 Octobre 2020 à 20:00

    Eh bien, je ne vous en veux pas mais voilà, j'ai lu je crois tous les romans de MH Lafon et je les ai tous aimés. Certains plus que d'autres mais tous quand même. J'aime énormément son écriture, elle me touche, me bouleverse souvent, et les histoires qu'elle raconte aussi. Je viens de lire Histoire du fils d'une seule traite dans un train et j'ai beaucoup aimé... 

      • Mercredi 7 Octobre 2020 à 08:59

        Heureusement qu'il y a de la diversité et que nous ne sommes pas tous du même avis, sinon ce serait bien triste !

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