• Grandir, Miha Mazzini, traduit du slovène par Zdenka Štimac (Éditions franco-slovènes & Cie)

    www.pinterest.frL’année des 12-13 ans, c’est l’année critique. Sorti de l’enfance, on n’a pas encore complètement basculé dans cet âge, lui-même indécis, pour lequel on sait mon intérêt : l’adolescence. En tout cas, c’était à ce moment-là que tout changeait à l’époque où on ne devenait pas encore, comme maintenant, ado à 11 ans. C’était l’année du grand chambardement quand Miha Mazzini, ou moi, à peine un peu plus tôt que lui, ou son héros, Egon Vittori, avons eu 13 ans. Pour Egon, ça arrive pendant l’année scolaire 1973-74.

     

    « Tu es moche… »

     

    Et son année cruciale est doublement problématique : un nom italien en Slovénie yougoslave ; un père évaporé, même des photos, où ne subsistent de lui que, çà et là, une main ou un pied (« J’étais du côté du membre arraché ») ; une grand-mère constamment plongée dans les prières ou dans la lecture de la Vie des Saints ; une mère, disons… un peu exaltée, qui lui tient, d’une voix de stentor, des propos du genre : « Tu es moche et propre à rien, bête et maladroit, tu ne sais rien faire, mais je n'ai pas honte de toi ». D’ailleurs, tous le considèrent plus ou moins comme un abruti. Il se réfugie au cinéma, dans la pratique du grimper à la corde, qui lui procure des émois inattendus, dans l’amour à distance avec la plus belle fille de la classe, et dans un rêve qui tourne à l’idée fixe : posséder un électrophone. Grundig, autant que possible ; sinon, au moins l’Iskrafon national.

     

    Car l’année problématique est encore plus problématique, pour un jeune mélomane, dans la Yougoslavie de Tito. Les disques de rock sont « rares et chers », il faut se méfier des « éditions de Belgrade sur du gros vinyle qui grésille ». On va se ravitailler, en cela comme en tout, dans l’Italie voisine. Mais on a du mal à comprendre la « nouvelle langue censée refléter la position tout à fait particulière de la Yougoslavie dans le monde, dite non alignée ».

     

    « Rendez les nichons ! »

     

    Les Éditions franco-slovènes & Cie, petite maison dynamique, s’attachent à faire découvrir au lecteur français une littérature européenne méconnue. Miha Mazzini, écrivain, réalisateur, journaliste, en est un des représentants les plus célèbres dans son pays, les plus traduits à l’étranger. Dans ce livre paru en novembre 2019, et qui n’est pas sous-titré roman, il nous raconte la mue d’un alter ego, comme l’attestent les nombreuses photos de famille et d’objets personnels qui, alternant avec des images du « camarade Tito » se livrant aux activités les plus diverses, ponctuent le texte. À la fin, Egon se délivrera de sa mère dans un salutaire accès de révolte (« "En fait, tu n'es pas si moche que ça !" dit-elle avec un profond étonnement »). S’il n’ose pas répondre aux avances de la belle Maja, laquelle n’échappera pas à un destin tragique, il obtiendra enfin, de haute lutte, l’objet tant convoité. Et le (très) méchant prof de gym sera puni, pour avoir piqué une crise en plein cinéma et exigé à grands cris « les nichons que la censure communiste a coupés » au milieu d’un film de partisans.

     

    Bref, un récit d’éducation, imprégné de l’humour volontiers désolé propre à ce qu’on appelait autrefois les pays de l’Est. Mais, pour évoquer le passage d’un âge à l’autre dans le plus instable desdits pays (la suite l’a montré), Miha Mazzini invente un ton singulier, qui mêle réalisme, satire, et un fantastique léger au point d’en devenir parfaitement naturel. Car l’ombre tutélaire de sa grand-mère plane sur l’adolescence ébauchée d’Egon ­— cette grand-mère qui converse avec les âmes et a, dans sa jeunesse, croisé la Mort, sous la forme d’un homme « vêtu d’un queue-de-pie légèrement poussiéreux, avec un nœud papillon et des chaussures au verni craquelé », mais privé de tête. La vie d’Egon, entre une princesse captive, un ogre en survêtement et une mère qui tient elle-même de l’ogresse, se ressent de cette ascendance. Elle ressemble à un conte de fées à la fois désopilant et noir. Mais comment mieux dire la magie souvent lugubre et rétrospectivement cocasse des adolescences commençantes ? D’où qu’elles viennent…

     

    P. A.

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  • Commentaires

    1
    relisons
    Jeudi 12 Novembre 2020 à 11:10

    Bonjour, 

    je vais de découvertes agréables en chroniques alléchantes depuis... hier ou avant-hier sur votre blog... sans blague !!!

    Félicitations à nouveau 

    Cordialement

     

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