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Entretien avec Julie Peyr
Elle n’a publié qu’un seul roman : Le Corset (Denoël, 2005), curieux petit bijou qui mêlait fantastique, érotisme et satire sociale. Mais Julie Peyr est aussi la scénariste ou la dialoguiste d’une douzaine de films, en particulier d’Antony Cordier (Douches froides, 2005, Happy Few, 2010) et surtout d’Arnaud Desplechin (Jimmy P. [Psychothérapie d’un Indien des Plaines], 2013, Trois souvenirs de ma jeunesse, 2015, Les Fantômes d’Ismaël, 2017).
Au croisement de deux modes d’écriture, elle ne peut qu’avoir des choses à nous dire sur l’écriture en général, le cinéma, la littérature et le rapport entre les deux, s’il y en a un…
Comment devient-on scénariste ?
En lisant, en écrivant, en regardant des films.
J’ai aussi appris, de mes études de philosophie, comment organiser ma pensée. Puis j’ai été lectrice de scénarios pour des maisons de production et des sociétés de distribution. En faisant ce travail, on repère vite ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans un récit. Après, on écrit soi-même… On met beaucoup de choses à la poubelle, on continue, on fait lire ce qu’on a écrit par son entourage. J’avais la chance d’être en contact avec pas mal de gens qui avaient fait la Femis. C’est comme ça que j’ai collaboré à mes premiers films.
Comment écrit-on un scénario ?
On part d’une envie, d’une scène, d’une situation… Ça ne commence pas toujours de la même façon. À partir de ce point de départ, on développe en creusant les personnages, en inventant d’autres scènes, un puzzle se forme peu à peu. Il s’agit à la fois de construire des scènes et d’élaborer une structure d’ensemble. Souvent, j’ai écrit une première version intégrale du scénario avant d’avoir cette structure. Je résume alors chaque scène en aussi peu de mots que possible. C’est un test : si la scène peut facilement se résumer, sa fonction apparaît clairement. Ensuite, je classe en plusieurs colonnes, qui ont chacune un titre. Autre test : peut-on vraiment donner un titre à chaque colonne ? Si oui, c’est que la partie à laquelle elle correspond a sa cohérence et sa nécessité. Une fois qu’on a réalisé ainsi un schéma d’ensemble, on peut supprimer, déplacer, vérifier les équilibres, par exemple entre scènes de jour et scènes de nuit, etc. Certains commencent par là. Mais, en ce qui me concerne, j’ai besoin d’avoir d’abord la chair du récit : des personnages, des situations…
Avant, bien sûr, il y a une longue période de rêvasserie, qui peut durer des mois. Et pendant l’écriture elle-même, lors des séances de travail avec le réalisateur, l’improvisation peut aussi jouer un grand rôle, par exemple dans l’écriture des dialogues. Parce qu’il faut quand même rappeler que ce n’est pas un travail solitaire, on est en permanence en contact avec une équipe.
Vous parliez des dialogues, et on vous voit dans certains génériques créditée comme « dialoguiste » : est-ce une écriture différente, spécifique ?
En réalité, j’ai toujours travaillé sur tous les aspects du scénario. Mais je pensais pendant longtemps être mauvaise dans les dialogues. Si bien que j’ai beaucoup travaillé dans ce domaine, en m’efforçant d’être aussi peu informative que possible — je déteste les dialogues qui sont là pour donner des informations au public. Je suis très vigilante là-dessus, et ça a dû finir par payer parce qu’on me dit maintenant : « Tu sais, tes dialogues, ils ne sont pas si mal que ça ! »
Souvent, je joue dans ma tête. Ou alors, au contraire, il arrive, avec le réalisateur, qu’on se raconte ce que les personnages vont se dire. Ce recours à une forme qu’on pourrait au fond dire « romanesque » permet une liberté et aussi une rigueur, elle rend, en définitive, plus créatif. Après, on peut passer à l’écriture dialoguée. Il y a une trace de ce travail dans Trois souvenirs de ma jeunesse : Arnaud (Desplechin, ndlr) et moi étions très heureux de ce qu’avaient donné ces séances de « narration » ; au point que leur résultat est passé en partie dans les voix off qui interviennent dans le film.
Et quand, dans ce travail sur le dialogue, on bloque ou qu’on reste sec, on rentre chez soi et on relit Shakespeare, Musset, Marivaux, Tchekhov… On s’en nourrit, et ça aide à repartir.
Vous évoquiez tout à l’heure ce qui peut être l’élément déclencheur dans l’écriture d’un scénario. Mais qu’est-ce qui vient à l’esprit en premier : des phrases ? des images ? des souvenirs de cinéma ?
Des images. Avant de se lancer dans des dialogues, il faut imaginer l’action, et se demander comment faire comprendre une situation au spectateur sans passer par la parole. Revenir, en somme, aux sources du cinéma, le muet, et trouver des gestes, des attitudes, des façons de marcher, d’être, qui définissent des sentiments ou des émotions.
Il est arrivé qu’on publie des scénarios (Eustache, Rohmer…), qui ont également eu du succès en tant que livres : un scénario, est-ce aussi de la littérature ?
C’est avant tout un outil au service d’une équipe, quelque chose qui va servir à trouver de l’argent, à convaincre des producteurs, des acteurs… Bref, c’est un objet de séduction. Et la séduction passe par le style. Je pense que beaucoup de grands cinéastes sont aussi de grands écrivains, avec un style qui leur est propre et qu’on retrouve dans leurs films. Car, dans un scénario mal écrit, on ne voit pas ce qui se passe.
Cela dit, il y a deux tendances : l’école « Truffaut », avec des scénarios très écrits, et l’école, disons, « Pialat », ou, aujourd’hui, « Kechiche », qui fait beaucoup plus appel à l’improvisation, avec souvent des acteurs non professionnels. Mais j’ai, quant à moi, toujours travaillé avec des gens qui appartenaient à la première de ces deux familles.
Envisagez-vous de revenir un jour au roman ?
Oh oui ! J’aimerais bien. Non que l’écriture scénaristique me frustre. Ce n’est pas du tout le cas. Comme je l’ai dit, la rigueur, la recherche du mot juste, le travail de la phrase, sont des exigences que je rencontre aussi dans l’écriture de scénarios. Seulement il y a des histoires que j’aimerais raconter et qui ne sont pas des histoires de films. Pourquoi ? Je ne saurais pas vraiment l’expliquer. Il faut aussi rappeler encore une fois que, en tant que scénariste, je travaille toujours en collaboration. Si j’écrivais un scénario toute seule dans mon coin, je ne sais pas ce qu’il en adviendrait ni s’il serait tourné un jour.
À ce propos, on remarque souvent dans vos scénarios certains thèmes, comme les désarrois de la jeunesse, le désir, l’amour à plus de deux, qui étaient aussi présents dans votre roman Le Corset : est-ce vous qui avez imposé ces thèmes ou sont-ils le reflet d’une communauté de sensibilité avec le réalisateur ?
Ils reflètent une communauté d’intérêt avec le réalisateur. Mais le risque, à force de me voir aborder ces thèmes, qui me tiennent à cœur, est qu’on en vienne à me proposer d’écrire toujours la même chose et qu’on me cantonne à des récits, disons, « d’apprentissage ». Par exemple, on ne me demande jamais d’écrire un scénario de thriller. Pourtant, j’adorerais ça.
Avez-vous déjà songé à réaliser vous-même un film ?
Non. C’est un autre métier. Ce ne serait sans doute pas trop difficile pour moi de trouver des producteurs, de constituer une équipe, de me lancer dans un tournage… Le résultat ne serait probablement pas honteux. Mais j’ai trop de respect pour ce métier pour prétendre à la réalisation. C’est comme si on me demandait de faire un tableau. Je peux en imaginer de très beaux, mais je serais incapable de les peindre.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Depuis très longtemps, j’ai envie de tirer un scénario du roman de Maupassant, Fort comme la mort. Il y est question d’un peintre qui a pour maîtresse une femme mariée dont il a fait le portrait quand elle était jeune ; un jour, la fille de cette femme sort du pensionnat où elle faisait ses études, et elle est le portrait de sa mère à l’époque du fameux portrait. C’est l’histoire des rapports entre ces trois personnages. Je voudrais la raconter dans un cadre actuel. C’est à quoi je travaille, sans savoir encore, pour une fois, qui réalisera peut-être un jour ce film…
Tags : Entretien avec Julie Peyr, Julie Peyr, cinéma, scénario
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