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Entretien avec Guillaume Collet
Il est aussi scénariste, et a contribué à créer à Saint-Étienne un festival de courts-métrages, Nouveaux rêves, dont la première édition a eu lieu en 2022 (voir ici).
La même année, à trente et un ans, Guillaume Collet publiait aux Avrils un premier roman, Les Yeux de travers (voir ici). Je ne sais plus pourquoi j’avais renoncé alors à lui demander un entretien. Mais, cette rentrée, avec la parution des Mains pleines chez Bourgois (voir ici), l’hésitation n’était plus de mise… Je devais rencontrer un auteur qui, pour dire la violence des rapports entre l’individu et la famille ou la société, se fie à ce point à l’écriture et à la construction du récit en tant que telles. Guillaume Collet a aimablement accepté.
Comment en êtes-vous venu à écrire ?
J’ai toujours eu envie d’écrire des histoires. Pendant longtemps je ne savais pas très bien sous quelle forme, BD, films… C’est vers la fin de l’adolescence que mon désir s’est fixé sur la littérature. Mais comme je suis dyslexique et dysorthographique, on me disait que je ne pourrais jamais devenir écrivain. Plus ou me disait ça, plus je m’entêtais, par esprit de contradiction. Cette impossibilité qu’on m’opposait m’a en fait aidé à persister, sans jamais remettre en cause mon projet. J’ai passé un bac littéraire puis j’ai fait des études de lettres modernes et de cinéma, tout en écrivant des choses qui pendant longtemps restaient inabouties. Puis…
Comment écrivez-vous ?
Si ce livre-ci (Les Mains pleines, ndlr) est composé de chapitres assez courts, c’est parce que j’ai compris que je devais les calibrer en tenant compte de ma durée maximale de concentration. Plutôt que de m’imposer un temps long arbitraire, j’écrivais aussi longtemps que je pouvais rester concentré sur le texte, après quoi j’allais me promener ou je faisais autre chose, je jouais à des jeux vidéo… De même, ma dyslexie m’a conduit à faire des phrases courtes, parce que j’arrive plus facilement à les corriger. J’aime mettre ainsi mes récits dans une forme d’urgence.
Je prends d’abord beaucoup de notes sur de grandes feuilles blanches, jusqu’à ce que je sente qu’il est temps de passer à l’écriture proprement dite. Et, de façon générale, je fractionne beaucoup. Je pars de fragments très courts, que je développe peu à peu, en travaillant parfois d’abord sur des éléments très précis, les couleurs, les gestes… Je me concentre, le temps d’une séance de travail, sur des détails de ce type, puis je remets tout ça ensemble et je le fonds dans le corps du texte.
Écrire, est-ce pour vous un travail ?
Si on parle d’une activité dont je pourrais vivre, pas encore, même si j’œuvre pour que ce soit le cas et que je ne désespère pas d’y parvenir un jour.
Mais, en tout cas, c’est du travail. Je crois que l’essentiel est de trouver sa façon personnelle de l’accomplir. De plus en plus, j’ai le sentiment de savoir ce que c’est que de s’asseoir devant la table et d’y rester à réfléchir, de revenir sans cesse au texte, etc.
Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?
Je n’ai pas une culture littéraire très contemporaine. J’ai beaucoup lu des auteurs plus anciens. Il y a des postures d’auteur que j’aime… J’ai découvert par exemple Antoine Volodine, et j’aime beaucoup sa manière de se situer aux confins de la science-fiction, du poème et du récit littéraire ; sa volonté, aussi, de créer un courant, une catégorie littéraire nouvelle, ce qu’il appelle le post-exotisme.
L’Or, de Cendrars, m’a également marqué : j’admire la façon dont il parvient à concentrer en 90 pages une histoire aussi longue et complexe. Un peu pour les mêmes raisons, j’aime Le drap, de Ravey, ou bien Journal du dehors, d'Annie Ernaux : une façon de se coller à un sujet, de ne pas le lâcher, et de résister à la tentation de trop parler. Je pourrais encore citer Gracq, ou le Journal d’un curé de campagne, de Bernanos, Le Pornographe, de Gombrowicz..
J’ai ce que j’appelle des lubies, qui m’accompagnent pendant que j’écris : une phrase de Tristan Tzara, des fragments des Djinns, de Hugo… des choses qui flottent là, quelque part. Et je pense souvent aux silhouettes chez le peintre Francis Bacon. Les scènes d'Edward Hopper aussi me viennent en tête quand je cherche, simples, évocatrices, colorées. Globalement, j'aime la façon de travailler des plasticiens, l'idée d'être en contact avec une matière. Je fantasme un rapport similaire avec la phrase.
Sauf erreur de ma part, aucun de vos deux livres n’est sous-titré roman. Pourquoi ?
Ce n’est pas un choix qui vient de moi. À mes yeux, il va de soi qu’il s’agit de romans, même si les deux livres sont inspirés de choses que j’ai vécues, parce que j’aime partir de sujets très réels, très concrets, et construire une langue à partir de là.
On tourne un film dans la ville des Yeux de travers. Le héros des Mains pleines est cascadeur. Quel rôle le cinéma, qui est votre autre activité, joue-t-il dans votre rapport à l’écriture ?
Comme je l’ai dit, j’ai voulu très jeune être romancier. Plus tard, j’ai eu l’ambition de devenir scénariste, j’ai fait des études pour cela, j’ai vu beaucoup de films… Dans mes romans je rends hommage à tout cet univers qui m’a nourri.
Par ailleurs un scénario est un outil de travail pour une équipe de cinéma, ça n’a rien à voir avec la littérature. Mais en en écrivant j’ai pris l’habitude de faire prédominer les verbes d’action, d’être toujours dans l’action, dans le moment… C’est quelque chose que j’ai conservé dans l’écriture de mes livres. Dans le premier (Les Yeux de travers, ndlr), j’ai aussi tenté des superpositions de visions qui sont comme des espèces de fondus enchaînés littéraires…
De façon générale, je pense que la littérature n’est pas tout, et qu’il y a différentes manières d’explorer le monde. On peut faire communiquer les arts, sans pour autant que les romans se mettent par exemple à ressembler à des films ou à des séries télévisées.
Le corps, les choses, l’imbrication de l’un et des autres semblent être au cœur de vos deux fictions. Cherchez-vous à peindre une société où l’humain est prisonnier du monde matériel ?
Prisonnier, pas forcément… En fait, j’essaie de gommer autant que possible le discours et la posture. Quand j’étais veilleur de nuit, je devais tous les jours sortir une poubelle. Ça impliquait des sensations très précises, des odeurs, des contacts…, et je me disais que si je voulais parler de cette nécessité de sortir des poubelles il faudrait que ce soit à partir de ces perceptions. Je raconte ce que j’arrive à toucher, à voir, à sentir, parce que, là, je suis sûr de ne pas me tromper. J’essaie d’écrire toujours à hauteur de sensation, dans une impression d’immédiateté, d’urgence… Si les émotions doivent émerger, ce sera là.
Si j’avais raconté plus précisément, avec plus de détails, la vie de mes grands-parents, en expliquant d’où ils venaient, etc., je crois que, paradoxalement, les personnages (des Mains pleines, ndlr) auraient été moins humains. Plutôt que d’essayer d’adopter ainsi un point de vue très large sur toute une vie, j’ai préféré restreindre et styliser, en me fondant sur le physique, le corps. J’ai aussi voulu montrer que dans la vieillesse il y a une forme d’énergie physique.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
J’ai des systèmes… Puisque j’ai écrit un premier livre sur le travail, et un deuxième sur la famille, je me suis dit que le troisième, qui est en cours d’écriture, porterait sur la sensation que produisait le fait d’appartenir à une patrie. Évidemment, il ne s’agit pas d’adhérer à ces notions ! Mais de s’interroger sur l’effet que cela fait, dans notre corps, de faire par exemple partie de quelque chose comme une patrie.
Là, je suis en phase d’accumulation et d’interrogation. J’ai longtemps eu peur de ne jamais arriver à raconter mes grands-parents, comme je l’ai fait dans Les Mains pleines. J’ai les mêmes incertitudes en ce moment avec ce nouveau projet. On n’est pas dans des zones de confort, on explore des moments où on s’est senti mal et c’est difficile. Mais ce sont ces hésitations et ces difficultés qui créent une tension grâce à laquelle on continue…
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