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En ville, Christian Oster (Editions de l'Olivier)
J'ai parlé ailleurs de Christian Gailly dont j'avais jadis aimé Be-bop mais dont je n'aimais pas Les Fleurs. Il y a aussi des romans de Christian Oster que j'ai aimés… Vous me direz, et vous aurez raison, la question n'est pas que j'aime ou que je n'aime pas. Essayons tout de même de comprendre.
Lisant En ville et repensant à Gailly et à ses Fleurs, j'en venais à me demander s'il n'y avait pas en fin de compte un problème avec le « style Minuit », dont on en viendrait tôt ou tard à se déprendre. Car en passant à L'Olivier Oster n'a quand même pas changé de manière. Et c'est effarant à quel point tous ces gens écrivent de la même façon. Les procédés semblent chez eux se désigner eux-mêmes comme les signes d'une appartenance mystérieuse mais glorifiante : absence de guillemets et incises systématiques pour les dialogues ; écriture ultra-précise et ironiquement pédante, avec obligatoirement traitement du matériau psychologique comme s'il s'agissait de détails concrets — d'où des ruptures prétendument cocasses en forme de zeugma, « Tu fais tes courses où ? J'ai tout ce qu'il faut en bas, a dit Roberta Giraud. Ne crois pas que je ne te désire plus, a-t-elle ajouté… » ; de façon générale, distance façon Meursault entre le monde et un narrateur doté d'une vision invraisemblablement aiguë, si bien que tout le récit se fait sur le mode du commentaire et constitue en somme un long aparté.
Engoncés dans ce carcan de stéréotypes, les thèmes aussi semblent usés jusqu'à la corde. La ville, la vieillesse, le vide de la vie, on a l'impression de tout connaître depuis si longtemps… « J'ai peut-être un rapport avec les ponts, ai-je songé…, ou bien je les aime, donc, ou bien ils me poursuivent, ou encore ça ne veut rien dire, et je me suis demandé si, au cas où ça ne voudrait rien dire, il me fallait trouver quelque part ailleurs dans ma vie une ligne de sens, une sorte de trajectoire, ou de tracé. Or je n'en voyais pas, la seule orientation qui me venait à l'esprit était celle du temps, et je n'y étais pour rien, personne n'y est pour rien, me suis-je dit, le temps avance… »
Nous avançons aussi, mais peinons à arriver au bout des 165 pages bien tassées. Pourquoi ? L'âge, le temps, les intermittences du désir, y a-t-il tellement d'autres sujets ? Et la littérature n'est jamais que manières de dire. Qu'est-ce alors qui fait que la manière se fige ainsi en maniérisme, et que le procédé devient tic ?
A propos de Gailly je risquais une hypothèse : pour que la façon d'écrire ne s'impose pas comme un élément autonome, donc gratuit, il faudrait que le « contenu » lui-même s'affirme pour ce qu'il est, une forme, au lieu de rester à flotter dans un arrière-plan nébuleux.
Ici, à première vue, c'est le contraire qui se passe : happé et contaminé par la « forme », le « contenu » lui-même apparaît comme un procédé — un cliché, somme toute. Mais c'est que l'auteur lui-même y croit tout en n'y croyant pas. Car certes, le temps qui passe, l'ennui, la lassitude. Mais quand même, la tendresse maladroite des amis, l'espoir, en dernière page, et l'amour, malgré tout… Il y a quelque part dans le roman d'Oster une espèce de sérieux attristé qui renvoie l'apparente ironie de l'écriture et la désinvolture faussement désabusée du ton au statut de façons de parler, masques de ces émotions qu'on dit d'autant plus dignes qu'elles sont pudiques. De même, les événements, en se multipliant avec une certaine frénésie (déménagements, séparations, décès, naissances, retrouvailles…), révèlent, dans En ville, plutôt qu'une volonté de pastiche, l'intention de faire un-roman-malgré-tout. Et la duplicité d'un tel projet, ruinant tout ce qu'il aurait pu y avoir de radical dans sa mise en œuvre, la renvoie tout entière au domaine du faux-semblant. S'il était allé au bout de son affirmation provocatrice du style, du pas-grand-chose-à-dire et du peu de romanesque de nos existences, jusqu'à l'absurde et jusqu'à une certaine folie, Oster nous aurait dérangés et par conséquent intéressés. Mais, comme peut-être certains autres de ses confrères, il continue d'affirmer entre les lignes, dans un grand sous-entendu rassurant et un peu cauteleux, sa croyance au sens et au genre qu'il prétend dynamiter pas ailleurs. Résultat il nous offre, dans un emballage surchargé de rubans et de dentelles, un roman, en fin de compte, bien sage. Et donc bien ennuyeux.
P. A.
Ce texte est paru une première fois le 17 février 2013 sur le site du Salon littéraire : link
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Commentaires
Je me suis si mortellement ennuyée avec "Un soir au club", de Gailly, pourtant grand succès de librairie, Prix du Livre Inter 2002, que je ne me suis plus jamais aventurée dans ses roman, "Be-Bop" compris...
Mais comment des livres mal écrits, où il ne se passe rien, qui ne délivrent aucune sagesse et n'ont pas un soupçon d'humour peuvent-ils plaire autant?
Merci en tout cas d'essayer d'analyser le phénomène de leur production, c'est en effet si mystérieux.Du danger d'oublier que la littérature sans risques n'est que bouillie de l'âme.
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J'avais pour ma part beauoup aimé "Be-Bop", et été très déçu par "Un soir au club". En fait c'est assez irrégulier, ces livres de chez Minuit sont souvent sur la corde raide, entre maniérisme pur et autre chose de plus profond. Parfois ça bascule d'un côté ou de l'autre...