• Dans l'ombre de la lumière, Claude Pujade-Renaud, Actes Sud

     

    http- a395.idata.over-blog.com En parlant de Mégara dès la troisième phrase Claude Pujade-Renaud veut sans doute placer son livre sous le patronage de Flaubert. Et l’essentiel s’y passe bien à Carthage, mais c’est au temps de Saint-Augustin. L’inspirateur du jansénisme a la cote chez Actes Sud. Si un long passage du livre de Claude Pujade-Renaud est consacré au sermon sur la chute de Rome, rien à voir toutefois avec le roman de Jérôme Ferrari, qui se déroulait en Corse de nos jours. Avec Dans l’ombre de la lumière nous retrouvons la série « Vie des hommes illustres ». Car la narratrice, Elissa, a vécu près du saint avant qu’il ne le devienne. Elle est la mère de son fils. Répudiée, elle suit de loin sa carrière et, grâce à son amitié avec un copiste, son œuvre, à commencer par les Confessions. Son beau-frère, potier à Carthage, lui apprend le métier, elle égrène ses souvenirs en tournant. Les année passent, l’évêque d’Hippone périt, son décès coïncidant opportunément avec la chute de l’empire sous les coups des Vandales et autres Goths.

     

    Il y a beaucoup de noms en –us. Hippo Regius plutôt qu’Hippone, Ambrosius, Augustinus… Claude Pujade-Renaud trouve que c’est « plus chantant ». En  plus ça fait romain, comme les descriptions de mets, les thermes, les rouleaux, les codex… On apprend un tas de choses sur le manichéisme et sur les autres hérésies, c’est bien commode, ça évite de lire un « Que sais-je ? ». Pour ceux qui ne connaîtraient pas les Confessions nous tenons également un bon recueil de morceaux choisis — les plus connus : la férule, les poires, tolle, lege,… rien ne manque.

     

    Et pour nous rendre plus proche ce monde lointain Claude Pujade-Renaud fait parler penser et réagir tous ses personnages comme vous et moi, je veux dire comme des lecteurs de Télérama et de Marie-Claire. Aucune de ces vaines et fatigantes tentatives à la Quignard pour reconstituer ce qu’auraient pu être les façons de voir et de dire du passé. On a l’impression rassurante que tous ces gens étaient comme nous, et que l’auteur aurait aussi bien pu nous raconter l’histoire d’un dirigeant de grande institution internationale et de sa secrétaire. Bien sûr il aurait fallu renoncer à cette Antiquité si décorative, mais c’est tout. La dimension spirituelle, si aride, se réduit en effet ici à quelques questions insondables mais ponctuelles : « Pourquoi Dieu a-t-il permis ces atrocités ? — Je ne sais pas, Valeria. Demande à Silvanus ». On se concentre plutôt sur la psychologie, celle des magazines que j’évoquais plus haut. Augustinus a eu une mère possessive (Monnica), que travaillait « un désir de revanche à travers ce fils si brillant ». Sous son influence il a renoncé au sexe, et à en croire la narratrice ce n’était pas un petit sacrifice : les souvenirs d’Elissa sont pleins d’« étreintes tumultueuses », d’odeurs, de corps qu’on « fouille », au point qu’elle en vient à s’interroger, « l’assaut amoureux entre l’homme et la femme serait-il proche de l’étreinte mortelle entre la bête et l’homme, les spasmes de la jouissance et de la mise à mort se ressembleraient-ils ? »

     

    Seulement voilà : si les femmes sont sauf exception sensuelles et proches de l’originelle argile, les hommes sont arrivistes et portés sur l’abstraction. Et derrière les pères de l’Eglise se cachent des hommes comme les autres, l’homme éternel, celui de Femme actuelle. Claude Pujade-Renaud a le courage de le dire. Son écriture est parfaitement adaptée à ce travail de réduction des grandes aspirations aux réalités simples : style sobre, comme on dit, sans aspérité ni heurt, en un mot, radicalement plat. Ce qui ne l’empêche pas de risquer à l’occasion d’audacieuses mises en abyme. Ainsi, à propos d’une « motte de terre », elle fait dire à sa créatrice d’amphores : « Je la pétris doucement. Peu à peu, elle devrait changer d’odeur, de texture, chauffer, s’animer. Mes doigts sont morts…, rien ne naît ». On voit très bien de quoi elle parle.

     

    P. A.

     

    Ce texte est paru une première fois le 12 janvier 2013 sur le site du Salon littéraire : link

     

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  • Commentaires

    4
    Dimanche 3 Février 2013 à 10:03

    Oui, hélas, cela doit correspondre à une certaine image de lal ittérature, dans l'esprit des "gens"...

    3
    Dimanche 3 Février 2013 à 10:03

    N'est-ce pas ? Un joli sens de l'oxymore, dirait un critique bienveillant.

    2
    Samedi 2 Février 2013 à 18:43
    Le titre de l'ouvrage est déjà une telle promesse...
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    1
    Samedi 2 Février 2013 à 17:12
    Quel ravissement de lire critique aussi ironique et à laquelle j'adhère totalement. J'avais lu "Belle mère", Prix Goncourt des lycéens et qui aurait pu être écrit par l'un d'eux moyennement doué, pour voir ce qu'on recommandait à mes ados. Et avais été effarée de la visite, pour ce que tu montres si bien : un effroyable aplatissement de toute pensée un peu complexe, de tout sentiment, une banalisation psychanalysante de tout personnage, comme le fils "buté dans son retranchement foetal" (noté dans mon bêtisier littéraire)! Je suis indignée que certains professeurs de littérature recommandent de tels ouvrages.
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