• Le Carnaval de Bâle (Pierre Ahnne)Je ne suis jamais allé au Carnaval de Bâle. Et je ne m’y rendrai vraisemblablement plus jamais, j’ai fini par accepter l’idée que je n’aime pas les fêtes, la foule, la liesse et l’excès dionysiaque. À l’époque je n’aurais avoué pour rien au monde que je n’étais pas très porté sur Dionysos, ...

     

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  • Patrick Boman est né en 1948 à Stockholm. Écrivain prolifique, il est l’auteur de nombreux récits de voyage (Thé de bœuf, radis de cheval, Le Serpent à Plumes 1999, Retour en Inde, Arléa 2009, Cœur d’acier, Arléa 2011…) et de différents ouvrages, dont un Dictionnaire de la pluie (Seuil, 2007), Nicaragua, boulevard de la flibuste (Ginkgo 2007)... Il est aussi le créateur de la série policière des Peabody, publiée notamment chez Picquier et qui vient de repartir ces jours-ci à l’enseigne de Sous la Cape.

    Qu’il s’agisse de l’Inde ou de la Haute-Marne, il porte sur le monde un regard où la distance ironique se mêle étrangement à l’empathie. Son ton sait allier la truculence à un art de la notation qui confine parfois au haïku.

     

     

    Entretien avec Patrick Boman

     

     

    Nous retrouvons Patrick Boman dans un restaurant chinois bien connu du quartier de Belleville. À l’heure où l’on dépose devant le convive ces tasses au fond desquelles oscillent des créatures aux charmes peu distincts, nous lui posons nos questions habituelles et quelques autres.

     

    Comment en êtes-vous venu à écrire ?

    Disons qu’à une époque de ma vie où j’allais très mal, où je me sentais totalement incompétent dans tous les domaines et où autour de moi se pavanaient militants de tout poil, pseudo-artisans d’art, jongleurs et mimes,  bref à voir « s’accomplir » ces gens dont beaucoup me paraissaient franchement idiots en plus d’être incultes, je me suis dit que j’avais envie, moi, de raconter des histoires. Et que j’irais peut-être un peu moins mal. L’écriture est pour moi foncièrement une thérapie.

     

    Comment écrivez-vous ?

    Autant que possible, vêtu et sobre.

     

    Écrire, est-ce pour vous un travail ?

    Vaste débat ! Plutôt oui, par ce que cela demande de temps, pour l’écriture elle-même et parfois pour des recherches, de solitude, de réécritures sans fin. Quand quelqu’un me dit : « Tiens, lis ça, j’ai vraiment pris mon pied en l’écrivant », j’éprouve la plus vive méfiance.

    A contrario quand j’entends parler avec emphase du « travail d’écriture » j’ai l’impression de me trouver face à des faux gourous, de misérables charlatans. Et dans ce domaine la pénurie ne menace pas.

     

    Y a-t-il des auteurs dont vous vous sentez proche ?

    Si vous me demandiez de qui je me sens éloigné chez les vivants, et pourquoi, ce serait plus drôle, mais les actions en justice pleuvraient ! Bon, comme je la sentais venir, j’avais préparé ma liste, donc, par ordre alphabétique, ceux dont je me sens très proche : Ivo Andric, Aloysius Bertrand, Borges, tout Bouvier, Stig Dagerman, « Dosto' », le premier Ellroy, Flaubert, saint Grégoire de Narek, David Grossman, Dashiel Hammett, Chester Himes, Omar Khayyam, Melville, l’abbé Mugnier, Patrick O’Brian, Flannery O’Connor, Lorenzo Pestelli, Rabelais depuis ma jeunesse, Roth (il n’en existe qu’un : Joseph), San-Antonio, Shakespeare plus que jamais pour la trinité sexe-argent-pouvoir, Soljenitsyne (sauf La Roue rouge !), Soseki, Tolstoï toujours. Et tant d’autres. Vous remarquez, sauf Ellroy, « Son tutti morti ! ».

     

    Vous avez écrit des récits de voyage, mais aussi un long récit historique, de nombreuses nouvelles, des romans policiers, fantastiques (de vampires), de science-fiction… Y a-t-il pour vous une hiérarchie entre ces différents genres littéraires ?

    Le mot « hiérarchie » n’est-il pas banni par la bien-pensance qui nous cerne ? Fi, messieurs ! Voulez-vous que je saisisse la Halde ? Non, je n’établis pas de hiérarchie par exemple entre la littérature et ce qui serait le reste, etc., cependant j’ai une grande tendresse pour les « mauvais genres », et le roman dit à l’eau de rose et le « petit roman bien parisien » ne sont pas placés très haut dans mon estime. Disons surtout que j'adore explorer des genres différents, puisque j'ai aussi écrit du théâtre, de la poésie, des textes sur la typo, etc., que j'ai intercalé des morceaux d'un roman de marine dans un polar et qu'il serait temps que je ponde un roman de cape et d'épée ! Et bien sûr, je ne lis jamais de nouveautés.

     

    Dans vos récits de voyage il y a une part d’analyse, mais avant tout une grande part de description ou d’évocation des lieux. Pensez-vous qu’on puisse fixer la réalité par les mots ?

    Ah que oui. Sinon je serais photographe, j’écrirais de la musique ou j’aquarelliserais  – sous la pluie de préférence, pour renforcer le sentiment de la fugacité de toutes choses. Sérieusement, oui je tente de « fixer la réalité », le temps qui s'enfuit, en y croyant pas mal (la lecture ressuscite le temps, donc il n'y a pas là d'imposture je pense), sans tomber dans le proustien de comptoir. Le vrai problème pour moi est ailleurs : quand l'écriture parasite le temps de la « vraie vie », par exemple en voyage, quand je ne puis noter au fil du temps ou plutôt dans sa course, « Im Lauf der Zeit », comme dit Wenders,  tout ce que je vois puisque par définition quand j'écris je ne vois plus rien ! Sentiment de vivre en différé la vie amoindrie du plumitif... Mais les aventuriers velus en gilet multipoches baisant le... les pieds de leur sponsor ne m'inspirent pas la moindre envie, vous vous en doutez.

     

    Peabody, le héros de votre série policière, ne ressemble pas à l’image « classique » du détective. Comment l’idée de ce personnage vous est-elle venue ?

    Je vais redire ce que j’ai déjà dit : telle la Vierge à Bernadette de Lourdes, il m’est apparu un jour, gros, vieux, chauve, libidineux, fumant un cigare puant, engueulant les suspects en hindoustani, bref insurpassable ! Je me permets de souligner qu'il est incorruptible et quasi abstème, ce dernier point étant une grave entorse aux lois du genre.

     

    Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

    Je termine un projet modeste, en l’occurrence un mince recueil de nouvelles. Et je flaire des pistes, la truffe au ras du sol. Mais il se fait tard et ces honorables fils du Ciel cognent mine de rien le balai contre nos chaises, indiquant sans doute par là que nous encombrons. Si nous étions à Valparaíso, je vous proposerais, gentlemen, d’aller boire le dernier verre au Restaurant suédois, un authentique bistrot à clochards – un genre qu’on rencontre plus souvent dans la littérature, d’Eugène Sue à Steinbeck, que dans la vie.

     

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  • www.musees.strasbourg.jpg On dit « billet d’humeur » ça ne veut pas forcément dire mauvaise humeur. Ce qui dicte le billet ce peut être par exemple la perplexité de voir que tel auteur, même bien connu, n’est pas forcément lu autant qu’il le devrait. L’envie de comprendre pourquoi on croit qu’il le devrait. On n’aime pas on n’a pas à se poser de questions, ce qui déplaît saute aux yeux tout de suite, quand on aime c’est plus difficile. On dit j’aime Ramuz au fond qu’est-ce qu’on veut dire. Le démêler c’est débrouiller du même coup quelque chose de soi. Et si d’autres peuvent tirer de ce débrouillage l’envie de lire de plus près ce qui en fait l’objet, on n’aura pas perdu son temps. Spécialement s’agissant de Ramuz, dont on entend encore ici ou là que « sa véritable vocation » fut « l’étude des mentalités et des coutumes des habitants de son terroir ». Le « renouvellement » du « roman paysan ». Ça nous aurait fait une belle jambe.

     

    Quelqu’un m’a offert Vendanges, publié, comme d’autres textes de Ramuz, par les éditions Séquences, à Rezé, près de Nantes. Ce bref récit autobiographique m’est soudain apparu comme donnant à voir dans son raccourci quelque chose d’essentiel à l’œuvre. D’abord ces souvenirs des vendanges auxquelles participait l’enfant de dix ans semblent appartenir à la littérature du « terroir » dont le Vaudois serait donc un représentant patenté. Puis, peu à peu, à force d’arrêts sur des objets, de grossissements soudains, d’images, le texte, à sa manière tranquille et sans en avoir l’air, déstructure l’univers décrit et le reconstruit autrement. Édifiant un lieu fantastique, le pressoir, fait d’ombres, de lumières et de perceptions éclatées. « Le monde tient tout entier dans le pressoir… mais il tient tout entier partout… car où qu’on se trouve est la plénitude, et c’est qu’on la porte en soi-même ».

     

    Le monde. En ce qui me concerne j’éprouve une certaine réticence vis-à-vis de cette notion revenue en faveur après le déclin du structuralisme et du marxisme. J’ai grand-peur que le monde n’existe que dans l’imagination des personnes, avides de croire qu’au-delà du langage se déploie un tout ordonné dans lequel elles auraient leur place. Il me semble bien que ce qui pointe entre les mots est plutôt du domaine du chaos et de l’effroi. Mais qui suis-je pour avoir un avis sur ces choses. Et ça ne m’empêche pas d’aimer Ramuz, parce que le monde qu’il recrée est un univers de langage, et que son geste sans cesse répété de destruction et de recomposition ébranle la seule réalité à laquelle nous ayons à mon sens accès, celle qui nous apparaît à travers le filtre du langage. Même si lui n’aurait peut-être pas été d’accord là-dessus. Un texte c’est un texte pas les opinions d’un monsieur, il est bon de répéter de temps en temps ce genre de truismes puisqu’il semble qu’ils aient tendance à cesser d’en être.

     

    La violence paisible du geste de Ramuz je la retrouve partout dans l’œuvre. L’éboulement inaugural de Derborence, cette « confusion de tous les éléments où on ne distinguait plus ce qui était bruit de ce qui était mouvement », est emblématique. Les descriptions chez Ramuz font lentement voler en éclats l’objet décrit, c’est-à-dire l’idée qu’on se faisait de la manière de le décrire, pour fabriquer un autre objet, biscornu, étrange, inquiétant, vraiment pas du tout réaliste. Ainsi dans Le Garçon savoyard, curieux roman encore plus méconnu que les autres, ce paysage :

    « Par-dessus les châtaigniers ronds, qui étaient disposés plus bas qu’elle comme beaucoup de ballons prêts à partir, on voyait sur sa droite l’embouchure du Rhône, et le Rhône hors de son embouchure faisait une barre jaune dans l’eau. On voyait la plaine du Rhône plate comme une feuille de papier. On voyait en face de soi les montagnes être carrées ou triangulaires. Dans le haut, elles étaient séparées les unes des autres, mais plus bas étaient réunies, formant ainsi un haut talus où des morceaux de verre, qui étaient les rochers, auraient été plantés tout droits… Et sur toute la pente il y avait les maisons éparses qui étaient comme un vol de pigeons qui se serait abattu pêle-mêle dans le vert des prés ».

     

    Le cadre montagnard avec ses décrochements et ses angles inattendus aide à ces effets de juxtaposition, de diminution et de grossissement, de rupture. Mais le style immédiatement reconnaissable de Ramuz, les ellipses dans le récit, les répétitions dans la phrase, les « et », les « il y a », les fausses maladresses de celui qui soulève et déplace, avec des han de bûcheron serein, de vastes portions de matière, tout tend à cela. Le fameux « on » de Ramuz, les passages du « ils » au « nous », le morcellement de la voix qui en fait un entrelacs de voix mêlées, plutôt que d’orchestrer un improbable chœur rural, affirme au niveau de l’instance narrative le même refus des points fixes et des habitudes rassurantes.

     

    Les récits de Ramuz ne parlent que de ce refus. Dans les endroits les plus paisibles et les plus innocents il y a toujours, comme dans Joie dans le ciel, son plus beau roman si l’on en croit Jacques Chessex, quelqu’un pour aller voir ce qui se passe « de l’autre côté ». C’est en cela que Ramuz touche à la fable ou au mythe. Le diable, chez lui, n’est jamais loin. Et à l’image du soldat de l’Histoire, il se trouve toujours certains hommes pour avoir envie de l’écouter, de traverser l’écran des apparences, et de tout mettre sens dessus dessous. Même quand une fin apparemment heureuse vient in extremis tout remettre en place (« parce qu’il y a un ordre »), leur transgression demeure inscrite dans les mots du grand écrivain suisse.

     

    P. A.

    photo www.musees.strasbourg.jpg

     

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